Ciné dîner : quand le grand écran passe à table

«Délicieux» (2021), le très beau film d’Éric Besnard, avec Grégory Gadebois et Isabelle Carré, évoque la création des restaurants en France, au XVIIIe siècle © Nord-Ouest Films - SND - France 3 Cinéma - Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma - Artémis Productions- Photo: Jérôme Prébois

Tel «Tendre et saignant» (actuellement en salles), nombreux sont les films à célébrer la bonne chère et les sphères artisanales qui la préparent. Mais comment font-ils pour tant nous mettre l’eau à la bouche ?

Du «Festin de Babette» (Oscar du Meilleur film étranger), en 1987, au dessin animé «Ratatouille» (2007), en passant par «L’Aile ou la cuisse» (1976), «Salé, sucré» (1994), «Cuisine américaine» (1998), « Le Chocolat » (2000), «Julie & Julia» (2009), «Les Recettes du Bonheur» (2014), «Délicieux» (2021) ou «The Chef» (2022), le 7e art offre de quoi toucher nos mirettes et nos papilles. D’autant que les créateurs de ces longs métrages les concoctent avec goût.

Technicité et générosité

Si les «films culinaires» font saliver le spectateur, c’est peut-être parce que comédiens ou réalisateurs sont les premiers à être de sacrés gourmands ! Comme Christian Vincent, metteur en scène des «Saveurs du Palais », inspiré de l’histoire vraie de la seule femme cheffe ayant travaillé à l’Élysée : «J’y fais un bel éloge de la cuisine, car j’ai toujours aimé cuisiner ! Ça m’apaise. J’aime aussi la compagnie des cuisiniers. J’adore les regarder travailler. Leur art est précis, demande de la technicité et beaucoup de générosité. Pour nourrir les autres, il ne faut pas être avare de soi ni des efforts à fournir ! Mon métier de cinéaste ressemble à celui des chefs et de leurs équipes. Comme moi, ils travaillent une matière vivante, jouent sur les couleurs, les formes, les consistances, mêlent le croquant et le mou, le chaud et le froid, le cru et le cuit !»

Gastronome

Jon Favreau, cinéaste et acteur, était lui aussi amateur de gastronomie bien avant de réaliser et d’interpréter «#Chef», en 2014. Il avait même produit et présenté des émissions culinaires : «Derrière une caméra ou derrière des fourneaux, tout est une question de créativité ! Vous avez tout en main, faites tout vous-même dans un espace limité et la réussite du plat final ne dépend que de vous !»

Pas de pitié pour les croissants !

Et être chef sur un plateau de tournage demande autant de poigne que de diriger et discipliner des assistants en cuisine. Tout le monde est sous pression pour donner le meilleur ! Marcus Wareing, chef du restaurant homonyme à Londres (deux étoiles Michelin), a formé Bradley Cooper et Sienna Miller pour «À vif !». «Outre les gestes, j’ai dû les amener à penser et à agir comme des chefs ! Le plus difficile à enseigner n’est pas la cuisine ! Le travail de cuisinier est intense, les chefs se lancent toujours des défis. Je voulais donc que ce soit pareil pour les comédiens. Je voulais qu’ils en bavent. Bradley et Sienna ont refait les scènes encore et encore, jusqu’à ce qu’ils aient trop chaud, qu’ils soient à bout ! Leur épuisement était naturel ! Le duo devait aussi régner sur les commis dans les yeux desquels on devait lire à la fois la crainte et le respect ! Les scènes de colère ont été mes préférées !»

Plaisirs de l’existence

Mais derrière cette odeur de brûlé, il y a aussi du sucré et de l’onctueux : le délice de concocter, en équipe, un vrai plaisir pour celui qui va goûter un mets ou dévorer un film ! À l’image du visage illuminé du critique gastronomique Anton Ego dans «Ratatouille» lorsque ce plat lui rappelle son enfance. «La cuisine est le processus créatif le plus visuellement convaincant à filmer», dit Jon Favreau à Variety. «La nourriture est très cinématographique car photogénique !» Ce passionné a étudié la façon de sublimer les réactions du public avec certaines images irrésistiblement alléchantes : «Vous déclenchez les « neurones miroirs » qui mettent l’eau à la bouche. Voir de beaux ingrédients, des grésillements dans la poêle ou une pincée de poivre s’éparpiller sur un steak fait saliver !»

Plaisir des gestes

Catherine Frot, peu adepte des fourneaux dans la vie, a adoré apprendre les gestes professionnels, promesses de délectation, en préparant desserts et plats tentants aux côtés de Danièle Mazet-Delpeuch qu’elle campe dans «Les Saveurs du Palais» (2012) et qui fut la cuisinière privée de François Mitterrand : «Elle transmet son art avec un amour infini, une précision fascinante. Elle m’a enseigné le plaisir des gestes, des couleurs et des formes de la nourriture. Et j’ai vraiment appris à réaliser un chou farci au saumon ! Il y a beaucoup de poésie dans la nourriture. Poularde demi-deuil, n’est-ce pas un nom magnifique ? C’est toute la magie de la gastronomie. On est dans les hauteurs des plaisirs de l’existence !»

Séduction universelle

Ce sont d’ailleurs ces festins qui permettent aux personnages d’un film et à leurs interprètes de mieux se connaître. «La nourriture a un pouvoir et sa présence est symbolique dans un film», explique à People Scott Hicks, metteur en scène du «Goût de la vie» (2007) avec Catherine Zeta Jones et Aaron Eckhart. «Le contact et la séduction commencent par les bons petits plats entre les héros, Kate et Nick. La bonne chère offre des aperçus touchants de l’interaction humaine ! Cette histoire d’amour célèbre la joie universelle de partager le plaisir des papilles, car ces deux sujets touchent une corde sensible dans toutes les cultures ! Ce qui touche à la nourriture – sa préparation, les arômes, la texture, l’apparence – présente des éléments romantiques et exaltants. La nourriture intervient à la fois au sens littéral et au sens figuré. Il ne s’agit pas juste de ce que nous mangeons, mais de la façon dont nous nous nourrissons émotionnellement !»

Douceurs colorées

L’idée de filmer l’aventure d’une jolie pâtisserie de quartier, qui propose des douceurs inspirées des civilisations du monde entier dans «Love Sarah» (avec Shannon Tarbet et Rupert Penry-Jones, en 2020), a ainsi été la motivation de sa réalisatrice Eliza Schroeder : «L’un des thèmes a été de réunir toutes les communautés vivant à Londres pour un tea-room et des douceurs uniques en leur genre !» Les acteurs ont été les premiers à se lécher les babines… «C’était génial d’essayer tous ces desserts ! L’équipe de quarante personnes qui se tenait derrière la caméra trépignait de pouvoir enfin les goûter ! On n’arrêtait pas de dire : « Pas encore, on en a besoin pour cette séquence ! » Puis, au moment où nous avons achevé toutes les scènes, tout le monde s’est précipité au comptoir. Tout était si délicieux.»

Pourquoi mangeons-nous devant un film ?

Déguster une friandise ou un plateau repas en regardant une série ou un long métrage n’est a priori pas recommandé. Car notre cerveau, qui ne se concentre pas uniquement sur le fait de manger, ne permet pas à notre corps de bien ingérer et digérer la nourriture. Pourtant, certains experts ne sont pas contre cette séance-plaisir si celle-ci ne devient pas une habitude. «Les gens aiment manger en regardant la télé le soir, c’est une façon de se détendre et de déconnecter leur cerveau», dit la thérapeute en nutrition Alissa Rumsey dans Well+Good. «Et offre une dose rapide de dopamine, hormone du plaisir ou du réconfort.»

«Si vous voulez dîner en regardant « Friends » et que vous savez que cela vous fera vous sentir mieux, allez-y !», ajoute Elise Museles, experte en psychologie de l’alimentation. Mais il faut être pleinement conscient de ce petit écart afin de ne pas prendre des kilos superflus – fait qui survient aussi quand on déjeune au lance-pierre devant son écran d’ordinateur !

Cet article est paru dans le Télépro du 27/01/2022.

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