Emmanuel Tourpe : «La Trois doit avoir son caractère et son identité !»

Emmanuel Tourpe : «La Trois doit avoir son caractère et son identité !»
Pierre Bertinchamps Journaliste

Il y a cinq ans, naissait La Trois. Une chaîne qui se voulait plurielle, utile et ouverte sur le monde. Qu’en est-il aujourd’hui ? Emmanuel Tourpe, directeur de la programmation de la RTBF, fait le point.

C’était un peu un OVNI dans le paysage audiovisuel, en 2010. Une télévision garantie sans pub qui donne la part belle à la jeunesse, la culture, l’info et la découverte.

Aujourd’hui, du haut de son pourcent et demi d’audience, La Trois a trouvé son public et a ses petits succès. «L’objectif qu’on s’était fixé était avant tout une promesse sur le contenu et l’offre, avant de penser à l’audience», explique Emmanuel Tourpe. «Nous développions une chaîne de niche avec des budgets très réduits.»

En clair, La Trois voulait marquer sa différence par rapport aux offres plus généralistes de La Une et de La Deux.

Comment La Trois a-t-elle évolué en cinq ans ?

Nous sommes passés d’une logique de rediffusion à une logique de magazines propres et de contenus, même achetés, inédits sur la chaîne. La Trois produit ses magazines comme «Noms de dieux», «Musique en prime», «Libre échanges», «Voisins, voisines», «L’Invitation»… Ce sont des contenus qui ne sont pas rediffusés ailleurs. On sait que le public de La Trois est plus confidentiel.

Dans cette liste, on a l’impression que certains magazines ont été dégommés de La Une ou La Deux…

Je comprends la tentation de cette réflexion, mais j’insiste sur le fait que ce n’est pas l’axe que l’on a suivi. C’est une logique de positionnement. Soyons francs, la musique classique sur La Deux, c’est un peu en décalage avec la ligne éditoriale, alors que «D6Bels» y a tout son sens. Pour «Libre échanges», l’audience n’est pas la seule explication. Ce format d’échange avec les jeunes sur des contenus un peu plus pointus, mais que l’on veut garder en prime time, c’est une des missions de La Trois.

Quelle est sa spécificité ?

La Trois ne doit pas être un faux jumeau qui récupère pour le prime time ce que les autres chaînes repoussent en fin de soirée. C’est de l’histoire ancienne. On veut que la chaîne ait son style. C’est la raison pour laquelle, il y a les présentations de Caroline Veyt. Sa présence est accentuée en cette rentrée. La Trois doit avoir son caractère et son identité. C’est la première réussite. Mais La Trois, n’est pas la chaîne ghetto de la culture à la RTBF. Il y a d’autres programmes culturels sur La Une et La Deux en fonction de leur positionnement. Je pense notamment à «Karbon Kabaret», en prime sur La Une. Et on sait que malgré que le grand spectacle populaire, l’audience sera moins forte, mais cela vaut la peine de couvrir l’événement. On ne veut pas que La Trois soit un déversoir de la culture, ni un patchwork fait un peu n’importe comment. C’est une des chaînes de la culture du service public, comme les deux autres, et les différentes cases y sont pensées rigoureusement.

Et du côté des audiences ?

Nous nous étions fixés en 2010, 1% de parts de marché. Là, nous sommes à 1,6 %, rien que pour les programmes de La Trois. Elle est donc à 60 % au-dessus de son objectif ! Rappelons que c’est une chaîne sans pub – et il n’est pas question d’en mettre – qui ne rapporte rien, mais qui nous coûte. Je suis évidemment satisfait des résultats, cinq ans après, mais il y a toujours des choses à améliorer.

Vous amélioreriez quoi ?

La façon dont nous vendons La Trois. C’est une chaîne que les gens qui la critiquent ne regardent pas. Et le public qu’elle cible ne sait pas forcément qu’elle existe. Le premier gros effort à faire, c’est lui donner plus de visibilité. Une autre visibilité à donner, ce sont ceux des visages de La Trois (Caroline Veyt, Patrick Leterme, Jonathan Bradfer…). Il y a un autre axe qu’il faut améliorer, c’est la reprise des émissions de La Première et les liens tissés avec Musiq’3. Pour La Première, ça va se traduire par l’arrivée de Myriam Leroy, courant octobre, en prime, le samedi, avec son émission «Coupé au montage» qui passe aussi sur La Première. On travaille à mettre l’interview politique «Le Grand oral» et le magazine «7 éco» sur La Trois aussi.

La Trois a trouvé son public ?

Contrairement à ce que l’on pense, on ne vise pas les catégories socioprofessionnelles supérieures. Dans les études que l’on a, ce ne sont pas les gens les plus éduqués et plus riches qui consomment de la culture. La plupart du temps, le public qui suit les émissions culturelles, la VO ou les docs en prime time, a entre 40 et 60 ans et recherche des contenus plus éducatifs que divertissants. Pour moi, nous sommes en plein dans notre cible.

La programmation de La Trois ne fait-elle pas double emploi avec Arte ?

On pourrait penser que l’on a des publics assez semblables, mais nous proposons des programmes tellement spécifiques comme «Wallons, nous !» ou «Noms de dieux », ainsi qu’une certaine belgitude qui me font dire que l’un ne cannibalise pas l’autre. Il y a sans doute une petite partie qui consomme les deux. Avec la naissance de La Trois, Arte n’a pas perdu de parts de marché, et nous avons pu malgré tout conquérir 1,6 % du public.

Pourquoi avoir supprimé la grande tranche info de 18 à 21 heures, qui était un produit d’appel de La Trois en 2010 ?

La première raison est qu’on ne relayait finalement que les programmes de TV5. Et, il y a plus d’un an, TV5 a modifié et élargi sa tranche. Ce changement devenait difficile à intégrer dans notre grille. L’autre raison, c’est que pour moi, La Trois n’est pas un TV5 bis, même si je diffuse quelques programmes de la chaîne. Si les gens veulent voir TV5, ils vont sur le canal de TV5 ! Cette tranche d’info sautera, à partir du 28 septembre, puisque Ouftivi jouera les prolongations jusque 20 heures… Une autre raison est que même si la RTBF est partie prenante dans TV5, la reprise de ses programmes nous coûtait aussi en droit.

La Trois va rester la chaîne des archives ?

Ce n’est pas une chaîne des archives ! Il y a 6 à 7 heures d’archives (hors rediffusions) par semaine que nos équipes vont sélectionner dans le catalogue de la Sonuma. Deux à trois fois par an, nous commandons à la Sonuma une soirée thématique. En plus de cela, je n’hésite pas à proposer des collections complètes, le dimanche soir, par exemple. Si en 2010, les archives occupaient une proportion importante, il est vrai qu’aujourd’hui, la volonté est d’en réduire le volume, mais c’est toujours l’un des core-business de La Trois. J’y accorde une attention très soignée. La Trois ne doit pas non plus être passéiste, ni la chaîne de la mémoire. Elle doit être aussi plongée dans le futur, ou s’arrêter sur le présent grâce à «Libre échanges».

Quelles seront les évolutions de La Trois ?

Plus de place à Ouftivi, les liens renforcés avec La Première et Musiq’3, et la programmation de journée, entre 9 heures et 15h30 où La Trois retrouve ses droits entre les cases de dessins animés. Honnêtement, je n’ai pas de budget pour le faire. Ce n’est donc qu’un travail de réorganisation. Arte a réussi la même opération, il y a deux ans, sur ses après-midis, il n’y a pas de raisons que l’on n’y arrive pas. La réalité des choses, c’est que le budget de fonctionnement de La Trois est proche du zéro, en pur frais de fonctionnement. Elle repose sur les efforts de trois personnes qui se penchent sur la programmation, et ceux du service des archives. C’est la télévision qui a le moins de personnel au monde. (Rires)

L’échec de OP12 sur la VRT (supprimée le 31 décembre dernier pour des raisons économiques, NDLR), c’est une menace qui plane sur La Trois aussi ?

Le projet OP12 coûtait plusieurs millions d’euros à la VRT. Comme je viens de le dire, chez nous, La Trois ne coûte pas grand-chose. Donc, ce n’est pas tant là que l’on pourrait faire de grosses économies. En cinq ans, on a justement offert toujours plus.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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