Eve-Marie Vaes (Musiq’3) : «On ne peut pas rivaliser avec la chaîne Mezzo !»

Eve-Marie Vaes, cheffe éditoriale de Musiq'3 © RTBF / Yves Fonck
Pierre Bertinchamps Journaliste

La station classique de la RTBF fête ses 60 ans. Rencontre avec sa directrice, Eve-Marie Vaes.

C’est le 1er octobre 1961 que la jeune RTB lance son «3e programme» entièrement dédié à la musique classique. 60 ans plus tard, et un autre nom, «Musiq’3» reste la référence en la matière.

Mais difficile de fédérer un public assez pointu. C’est la tâche ardue que relève tous les jours Eve-Marie Vaes.

Musiq’3 est vieille dame de 60 ans ou une jeune radio sexagénaire ?

Certainement une jeune dame de 60 ans qui n’a jamais été aussi jeune, dynamique, fraîche dans sa programmation. Et tout cela grâce à 1.000 choses, cette saison, dont plein de nouvelles voix ! Ce sont pour la plupart des musiciens actifs en Belgique et à l’étranger qui ont une passion à partager. C’est un coup de frais fantastique. On a aussi une Youtubeuse qui amène son regard sur ce qui se passe en musique classique sur les réseaux. À coté de tout ça, on ajoute trois radios digitales. Par rapport à nos consœurs, il était temps que Musiq’3 s’y mettent aussi. Enfin, notre offre ne se limite plus à la radio linéaire avec de nouveaux podcasts. Ce sont des prolongements, des grands entretiens ou des formats plus longs. Tout ça, c’est un beau cadeau d’anniversaire !

Et le futur d’une radio classique, c’est quoi ?

On a un public qui est fidèle. On ne fait pas des audiences fantastiques, et c’est vrai qu’il est âgé et qu’il n’aime pas le changement. Mais notre défi pour demain, c’est d’aller séduire les jeunes. Nos deux festivals y concourent largement en démystifiant la musique classique. On peut y venir en jeans et en baskets, et les artistes qui y viennent ne sont pas mis sur un piédestal, mais viennent partager leur passion avec le public. Et comme, je viens de dire, il y a le digital. C’est anodin mais une chroniqueuse qui est sur les réseaux sociaux, ça va faire venir un autre public.

Le ton de Musiq’3 va changer ?

La force de Musiq’3 est de ne pas renier son passé mais en même temps aller plus vers l’auditeur en ouvrant la programmation à ceux qui nous écoutent (le midi, NDLR). Les auditeurs ont bon goût et ils ont parfois envie d’entendre des choses qui nous échappent, parfois on découvre du répertoire grâce à eux. Et le pari de la rentrée, c’est le drive-time de 17h à 18h, «Bonjour, bonsoir !». C’est du feel good avec des chroniques, de l’humour et beaucoup de passion. C’est neuf pour le public de Musiq’3, surtout à cet horaire-là.

Avec autant de programmes talk, on ne se rapproche pas trop de La 1ère ?

C’est un risque que l’on étudie de près. C’est pour ça que la nouvelle organisation de la RTBF est utile puisque Musiq’3 et La 1ère s’adressent au même public (les Identitaires, NDLR), comme Classic 21. On scrute les grilles de chacun pour être complémentaires mais pas en compétition. De 17 à 18h, sur La 1ère, c’est du talk mais politique. Nous, on est plus bavard qu’avant mais radicalement dans autre chose. C’est vraiment de la détente et de l’accompagnement. C’est un pari, et nous ne sommes pas certains à 100 % du résultat.

Comment voyez-vous la station dans les 5 ou 10 prochaines années ?

On est en train de révolutionner les choses. Ça avait déjà commencé lorsque Laetitia Huberti est arrivée à la tête de Musiq’3 (en 2014, NDLR). Nous plantons les graines de l’avenir et mon souhait est de renouveler les voix en mettant des musiciens à l’antenne. Ils ont la connaissance et l’expérience. On prépare la relève avec un ton décomplexé et décloisonné mais toujours dans de la connaissance. N’oublions pas que l’on a une mission de service public importante notamment pour des captations ou le relais des activités classiques. Il n’y a que Musiq’3 qui peut le faire.

Vous ne craignez pas d’aller trop loin dans l’expertise et de peut-être vous y perdre ?

Nous choisissons nos experts tant pour leur enthousiasme que pour leur expertise. On a eu des gens trop pointus et trop spécialisés, à une époque, mais ce n’est pas eux qu’on a gardé. On a préféré des personnes qui parlent avec leurs tripes mais dans un langage accessible. Même les voix plus anciennes et plus académiques de la radio sont emportées par ce mouvement. C’est un challenge pour elles, mine de rien. C’est une saine émulation qui contamine l’ensemble de la chaîne.

Et pour les gens qui regrettent que l’on discute de trop ?

Il y a justement trois radios digitales thématiques sans paroles, dédiées au baroque, au jazz et à la période romantique. C’est une vraie question, et je peux tout à fait entendre de la part du public que l’on ait parfois envie que l’on soit moins bavard à l’antenne.

Vos concurrents, ce sont les CD ou les stations classiques étrangères ?

Nous sommes partenaires de France Musique, France Culture ou Klara, et on sait qu’une partie de notre public va écouter ces radios-là. Comme nous n’avons pas un enjeu d’audience à tout prix, si le public trouve le chemin de la musique classique par là-bas aussi, ce n’est pas une mauvaise chose. Et puis via les Médias Francophones Publics, on partage pas mal de captations ou de programmes avec eux.

Comment toucher les jeunes et garder un public plutôt âgé sans toucher à l’ADN de la station ?

C’est un grand écart, je le reconnais. L’important est de trouver le bon ton aux bonnes heures, sur les bonnes plateformes. Ce n’est pas plus mal d’avoir une émission baroque, le week-end, de 8h à 10h. À cette heure-là, les jeunes dorment encore (rires). La musique contemporaine, le vendredi soir, le jazz à 22h… On est attentif dans la construction de la grille et dans ce qui est supports digitaux, avec des formats courts. Notre page Facebook fonctionne mieux que d’autres chaînes de radios du groupe… Là, on est très vulgarisateurs pour s’adapter et garder les deux publics.

L’appât de La Trois, en télévision, fonctionne ?

Le classique en télé, c’est compliqué… Laetitia Huberti a essayé pendant plusieurs années, et c’est difficile d’aller chercher le public. Il y a une exception, c’est le Concours Reine Elisabeth de par son coté institutionnel et le public plutôt international. Pour le reste, il y a déjà tellement de choses qui existent avec des moyens de dingue. On ne rivalise pas avec la chaîne Mezzo ! Notre public est là-bas. On travaille avec les équipes de La Trois à la recherche de plus-value que l’on peut apporter en télé mais très qualitatif. Est-ce que l’on va devoir en faire moins pour en faire mieux ? Peut-être… Ou un nouveau format pour «Tempo» ? C’est en réflexion.

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