Films et séries inspirés d’une histoire vraie : pourquoi nous fascinent-ils tant ?

«Penguin Bloom» (2021, Netflix) raconte l’histoire vraie de Samantha Bloom (incarnée par Naomi Watts), une mère devenue handicapée à la suite d’un accident quasi-mortel survenu en 2013. L’Australienne trouve la résilience auprès d’une pie blessée qu’elle a recueillie et qu’elle nomme Penguin. © Netflix

Lorsque «Inspiré d’une histoire vraie» figure sur l’affiche d’un film, les spectateurs sont plus enclins à se ruer dans les cinémas ou à s’asseoir devant la télé. Pourquoi les faits réels, bien plus sombres et moins divertissants qu’une fiction, fascinent-ils tant le public ?

La réalité est plus étrange que la fiction : voilà pourquoi les cinéastes puisent leur inspiration dans des histoires vraies. Qui passionnent aussi les spectateurs qui y trouvent des gens du quotidien propulsés dans des (més)aventures qui les changent pour le meilleur ou pour le pire, des individus «ordinaires» qui deviennent «extraordinaires». Quel effet miroir ! Par ailleurs, savoir que l’on entre dans les coulisses d’un fait réel démultiplie l’effet dramatique : empathie, rire, larmes ou peur sont plus grands…

Privilège terrifiant

Acteurs et actrices sont, eux aussi, plus émus d’incarner une personne ayant existé. Comme Emma Stone, dans la peau de Billie Jean King (lire page 24), tenniswoman mondialement connue et porte-drapeau du féminisme. «C’est la première fois que j’incarnais une personne réelle», admet la star. «Bien sûr, c’était un honneur, mais étrange, surréaliste ! Je n’ai pas trop parlé à la vraie Billie durant le tournage, c’était trop de pression. Quand il s’agit d’une histoire vraie si inspirante, la responsabilité est plus grande vis-à-vis de l’histoire et de la personne elle-même.»

Le plus authentique possible

Tom Hanks a, lui aussi, campé des gens réels dans d’impressionnantes fictions, et à plusieurs reprises : «Apollo 13», retraçant la mythique mission avortée d’astronautes prisonniers d’une fusée défectueuse ; «Capitaine Phillips», récit d’un navire de marine marchande américain pris en otage par des Somaliens ou «La Guerre selon Charlie Wilson», illustrant le patriotisme acharné d’un député excentrique. «J’ai été clair avec le commandant Jim Lovell, les capitaines Richard Phillips et Charlie Wilson», confesse le comédien. «J’ai dit à chacun : « Je vais t’incarner. Tu devras vivre avec cela après le film. Pour les besoins du scénario, je vais dire ou faire des choses que tu n’as jamais dites ou faites, je vais peut-être aller dans des recoins de l’âme où tu n’es jamais allé, mais je vais m’efforcer d’être aussi authentique que possible ! »»

Tueurs : «chouchous» du public

Le travail d’interprétation est d’autant plus dur quand un film aborde des crimes très violents. Acteurs, réalisateurs et producteurs savent que le public en est friand. C’est l’un des registres les plus regardés. «Un meurtre qui a eu lieu donne aux gens un aperçu de l’un des tabous les plus fondamentaux et de l’une des pulsions humaines les plus étranges», explique John Whalen, co-auteur d’une analyse d’une centaine de films basés sur des méfaits véritables («Based on a True Story – Fact and Fantasy in 100 Favorite Movies»). «Le spectateur a besoin de savoir ce qui se passe dans l’esprit d’un tueur, en partie pour apprendre à s’en protéger et parce qu’il est fasciné par ses comportements aberrants. Il lui procure aussi le soulagement de ne pas être la victime. Ou l’auteur ! Car il peut ressentir de la compassion pour le meurtrier. Peut-être apprécie-t-il aussi ce genre de fiction parce qu’il aime les énigmes. Elles stimulent le cerveau. Les faits sont proposés tel un puzzle à résoudre.»

Plonger dans les ténèbres

Les comédiens appelés à visiter les tréfonds d’une âme perturbée et meurtrière vivent donc une expérience hors du commun. Charlize Theron, enlaidie pour être l’alter ego de la tueuse en série Aileen Wuornos, prostituée usée par la précarité et les abus, accusée d’avoir tué six «clients» et exécutée en 2002, après douze ans de prison, dans «Monster» (2003), n’oubliera jamais ce rôle. «Pour moi, cela allait au-delà d’un excellent scénario. Le récit tirait sa matière d’une réalité et, au lieu de la réduire, il lui donnait toute sa dimension ! Être Aileen s’est même avéré cathartique : il fallait affronter ses ténèbres. C’était comme tenter d’allumer des lumières dans des pièces sombres.»

Empathie et compassion

Le critique de cinéma américain, Roger Ebert, a qualifié la performance de Theron comme «l’une des meilleures de l’Histoire du cinéma» : «Il fallait être courageuse et très forte pour jouer ce personnage si particulier. Charlize avait en elle la compréhension et la profondeur nécessaires.» Quant à la star, étonnamment, elle avoue avoir eu de la compassion pour le «monstre» : «Je vois en Aileen une humaine qui a dû endurer des situations extrêmes. Nous pouvons tous nous référer à ce qu’elle a traversé : trahison, envie d’être aimée, besoin de s’intégrer et espoir que ça s’améliore.»

Sylvie Testud a eu, elle aussi, une certaine empathie pour les sœurs Papin en tournant «Les Blessures assassines» (2000), film inspiré du massacre perpétré par deux bonnes en tuant leur riche patronne et sa fille : «Christine Papin, l’aînée, était intelligente, mais victime de la société. Au XXIe siècle, on peut être issue d’un milieu modeste et s’élever. En 1930, c’était impossible. Or, c’est la frustration qui l’a poussée à se rendre importante aux yeux de sa sœur et à commettre l’irréparable…».

Quintessence de la douleur

Engagés émotionnellement, les acteurs le sont aussi physiquement. Leonardo DiCaprio a joué nu dans l’épilogue d’«Aviator», où il campait l’aviateur et producteur Howard Hughes, devenu fou et reclus. Mais sa performance la plus pénible fut son rôle de trappeur ayant survécu dans la nature canadienne au XIXe siècle, dans «The Revenant». «La quintessence de la douleur», affirme la star oscarisée pour ce film. «Le cinéaste, Alejandro Iñárritu, voulait une fiction inédite. Sur une échelle de 1 à 10, je décrirais la dureté de cette expérience avec un 10 ! Vous n’obtenez pas ce résultat sans aller au-delà de vous-même.»

Les tréfonds de l’âme

François Cluzet s’est lui aussi donné à fond pour devenir le milliardaire tétraplégique, Philippe Pozzo di Borgo dans «Intouchables» : «Au bout de quelques jours, il s’est passé un truc étonnant : l’équipe de tournage me fuyait ! Tous avaient la réaction que l’on peut avoir à l’égard d’un handicapé. Et moi, j’avais besoin de rester dans le fauteuil à longueur de journée. Je voulais ressentir cette solitude.» Naomi Watts, vedette de «Penguin Bloom» (Netflix), a approché cette même invalidité en incarnant Sam Bloom, sportive paralysée par un accident (lire l’entretien, page 25) : «Se retrouver clouée sur une chaise roulante est frustrant. C’est atroce d’imaginer que sa vie ne sera plus jamais la même. J’ai beaucoup appris sur la résilience !»

Lourde est la couronne

Si l’on n’a pas exigé d’eux des cascades ou des changements physiques, plusieurs stars ont dit leur difficulté à incarner une figure historique. Claire Foy a coiffé la couronne d’Élizabeth II dans les deux premières saisons de «The Crown» (Netflix) : «C’est la personne la plus célèbre au monde, elle n’a jamais manifesté d’émotion, à part quelques dimanches du Souvenir où elle avait la larme à l’œil. Ce n’est pas facile d’envisager pareil personnage au niveau humain. Cela demande énormément de compassion.» Colin Firth, oscarisé pour «Le Discours d’un Roi» (2010), a ressenti la même empathie en incarnant George VI qui souffrait de bégaiement : «Si vous lisez les écrits de ce souverain, vous découvrez un homme d’esprit subtil, doté d’un certain sens de l’ironie. Or, il a été jugé stupide parce qu’il ne pouvait pas exprimer tout cela ! C’est douloureux…»

«Ce fut effrayant d’habiter un personnage aussi connu que Jackie Kennedy», embraye Natalie Portman, star de «Jackie» (2016). «Les gens savent si bien à quoi elle ressemblait, comment elle parlait, bougeait. L’épreuve terrible que cette femme a traversée a été un incroyable chemin de découverte pour moi.» Et pour le public.

Entre inspiration et voyeurisme

«Les films ne sont pas toujours une évasion, ils sont parfois nos professeurs», note Dan P. McAdams («The Psychology of Life Stories»). On y apprend qui on est et ce qu’on peut devenir. Certaines fictions nous disent qu’au plus profond de nous, nous avons le potentiel pour être un héros ou un modèle, puisque d’autres ont été capables de se surpasser.»

Mais qu’en est-il de faits moins glorieux ? «Les histoires de tueurs réels sont aux adultes ce que les récits de monstres sont aux enfants. Ils nous plongent dans le plus sombre de l’humanité, mais dans la sécurité de notre canapé ! Le même phénomène se produit quand on ralentit, depuis notre voiture, pour voir un accident. C’est une poussée d’adrénaline qui nous dépasse. Et si vous doutez de son pouvoir, pensez à l’enfant en quête de sensations fortes qui monte encore et encore sur des montagnes russes jusqu’à en être physiquement malade. L’effet euphorique du vrai thriller sur les émotions humaines est similaire à cette attraction.»

Cet article est paru dans le Télépro du 25 février 2021

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