François De Brigode : «Sans doute le moment le plus dramatique que j’aurai eu à vivre dans ma carrière»

François De Brigode : «Sans doute le moment le plus dramatique que j'aurai eu à vivre dans ma carrière»
Pierre Bertinchamps Journaliste

Le présentateur du JT de la RTBF vient de vivre un des pires moments de sa carrière. Après plus de 48 heures d’infos quasi non-stop, François De Brigode exprime son sentiment à Télépro.

De mardi matin à jeudi soir, la RTBF a quasiment été en mode «info non-stop». François De Brigode, mais aussi toute la rédaction du JT, étaient sur le pont pour informer le téléspectateur. «Ce sont bien évidemment des journées fatigantes et stressantes, mais il faut remettre les choses à leurs justes valeurs», exprime le journaliste. «C’est sans importance par rapport à la douleur des familles et des proches des victimes qui sont K.-O. psychologiquement. Les médecins et les urgentistes ont fait un travail formidable. Parler de notre fatigue à côté, ce serait indécent !»

Vous étiez déjà à la rédaction lorsque l’on a appris les deux explosions à Zaventem ?

En général, j’arrive à 8h30. Je ne sais pas pourquoi, ce jour-là, je suis parti plus tôt. J’étais à la place Meiser à 7h55, et j’ai vu trois camions de pompiers foncer vers Zaventem. J’ai trouvé qu’à la manière dont ils conduisaient, on sentait qu’il se passait quelque chose d’important. Peu de temps après, j’ai reçu des notifications sur mon GSM…

Est-ce qu’à la rédaction, il y a une sorte de «plan catastrophe» pour que tout le monde soit sur le pont ?

Le matin, il y a déjà énormément de monde à la rédaction. Que ce soient les présentateurs des JT, les éditeurs ou les journalistes. Et puis, très vite et instinctivement, les journalistes, les caméramen et les monteurs reviennent. Quand on aime son métier, on ne reste pas chez soi dans de pareilles circonstances.

Cette fois-ci, la RTBF a proposé de l’info en continu, et plus une suite de rediffusion d’éditions…

C’est un bon constat, j’ai envie de dire tant mieux… Nous sommes restés en info continue pendant quasi trois jours. Nous avons travaillé en professionnel de l’info qui voulaient informer. Je crois aussi qu’il y avait une demande légitime de la part du téléspectateur de l’être aussi. Dans ces cas-là, tout est complémentaire que ce soit la TV, la radio ou le site internet.

C’est plus compliqué d’informer en 2016, quand il y a Instagram, Twitter ou Facebook ?

C’est difficile parce que nous aussi, à l’antenne, nous sommes alimentés par un flux continu d’images. Mais nous avions mis plusieurs journalistes sur le contrôle et la vérification des images. Si tout n’a pas pu être fait à 100%, j’ai l’impression que le filtre, le tri et la mise en perspective ont bien fonctionné.

La télévision reste la référence dans la véracité d’une info ?

Il y a un problème sur internet. C’est le robinet continu alimenté par des gens qui ne sont pas nécessairement journalistes. Parfois, ils peuvent fournir de très bonnes images, comme parfois, elles peuvent être exécrables. C’est à nous de faire le filtre, et en effet, on peut devenir une référence. Et c’est tant mieux.

Mercredi soir, quand vous avez rendu l’antenne à 22h30, comment vous sentiez-vous ?

Dans ces cas-là, même si nous sommes des hommes et des femmes d’images qui sont aguerris à des catastrophes, tous les jours, nous sommes psychologiquement un peu groggy. J’ai la réputation d’être un dur, mais c’est parfois difficile. Aussi parce qu’on connaît des personnes dans l’entourage qui ont été atteintes par les attentats, ou qui auraient pu mourir parce qu’ils étaient là-bas à ce moment-là…

C’est votre cas ?

Ma secrétaire a eu un sixième sens extraordinaire. Elle venait, le matin du 22 mars, pour travailler, et comme elle a entendu parler des deux attentats à Zaventem, elle a préféré prendre un taxi pour venir. En général, elle prend le métro à Maelbeek chaque matin… J’aurais pu perdre une collègue. Elle a travaillé avec moi toute la journée, et elle était un peu perturbée. Mais on n’a pas à se plaindre, parce que c’est notre métier, et ce qui nous arrive n’est rien par rapport aux personnes dont la vie est fracassée à cause des attentats. Je suis juste très content qu’à la rédaction du JT, tout se soit bien passé et que l’on a travaillé en se respectant mutuellement, sans l’ombre d’une tension professionnelle.

Le nouvel habillage du JT n’a pas été un handicap ?

C’était un peu stressant, c’est vrai, mais on avait répété. Nous étions prêts. Il n’y a pas eu une demi-seconde d’amateurisme.

Vous vous attendiez à ce qu’il y ait un attentat chez nous ?

Quelque part, dans le coin de la tête, on espérait que ça ne se passe jamais. Il n’y avait pas de raisons que l’on soit épargnés puisque des terroristes avaient été arrêtés sur notre territoire. Je ne vais pas dire que je m’y attendais, mais je me doutais que ça pouvait se passer.

En tant qu’homme, vous allez changer vos habitudes ?

Non. Mais il faut continuer à vivre, comme la plupart des citoyens belges et européens. Evidemment, je vais aller au cinéma ou je vais entrer dans un hall de gare ou d’un aéroport, en y pensant un peu.

C’est le moment le plus important de votre carrière ?

Malheureusement… en termes de catastrophe, on ne sait pas ce qui peut arriver demain ou dans les mois et les années à venir. J’aurais préféré ne jamais vivre quelque chose comme ça. C’est mon métier, je dois informer, même quand les choses sont terribles. C’est sans doute le moment le plus dramatique que j’aurai eu à vivre dans ma carrière.

Est-ce que vous pensez que nous sommes passés dans une nouvelle ère de l’histoire ?

Je ne suis pas de ceux qui prétendent que nous sommes dans la troisième guerre mondiale, mais il y a une menace qui est devenue permanente et nous allons devoir vivre avec…

Entretien : Pierre Bertinchamps

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