La RTBF fête timidement les 10 ans de «Bye Bye Belgium»

La RTBF fête timidement les 10 ans de «Bye Bye Belgium»
Pierre Bertinchamps Journaliste

Le plus gros canular de l’histoire de la télévision, c’était le 13 décembre 2006. Plus qu’une blague, une véritable prise de conscience des Belges.

Ce soir-là, «Question à la Une» démarrait. Mais après quelques secondes du générique, l’antenne saute. François De Brigode retrouve le fauteuil du JT qu’il venait d’abandonner peu après 20 heures. «L’instant est grave». La Flandre vient unilatéralement de mettre fin à la Belgique, rétablissant des frontières entre la Wallonie et la Flandre, et faisant de la Région de Bruxelles-Capitale, une enclave en territoire nationale flamand.

La fausse émission est très crédible, trop crédible avec des duplex du Parlement flamand, du Palais de la Nation et même de Tervuren, où un tram est arrêté manu militari par la police puisqu’il ne peut pas entrer dans un «autre» pays sans accord.

La population s’affole pour de vrai, les coups de fil affluent vers les services de secours pour s’informer, à tel point que même BEL RTL doit faire un flash pour annoncer que tout cela n’est qu’une fiction et pour rassurer le public.

Débordée aussi par les appels, la RTBF placera un macaron sur l’écran. D’abord, celui de «Tout ça, (ne nous rendra pas le Congo)», ensuite la mention «Ceci est une fiction». Un joli coup pour la chaîne publique en pleine période où les crises communautaires se multiplient.

Un retour de boomerang pour le présentateur, François De Brigode. «Pendant 72 heures, ça a été assez dur», confie-t-il. «Ma tête et celle de Jean-Paul Philippot ont été mises à prix et on voulait me dégommer.» Trois jours qui n’ont pas été facile à vivre. «Mais je n’ai pas de regrets du tout. Et ce serait à refaire, je le referai.» Et De Brigode assume : «Je continue à assurer le service après-vente.»

«D’ailleurs, je ne crois pas que nous sommes allés un peu trop loin. Le côté était volontairement provocateur.» Mais le journaliste se confesse, «oui, on a franchi la ligne déontologique et la ‘ligne blanche’, sans pour autant tomber dans le fossé. À un moment on a juste remis l’église au milieu du village.» L’idée de coup de génie est de Philippe Dutilleul, notamment journaliste dans l’équipe de «Strip-Tease».

«On a étudié les programmes de partis flamands pour préparer l’émission. Quant à l’impact qu’a eu ‘Bye Bye Belgium’, ça, on n’avait rien prévu. On ne pensait pas que ce serait si fort. Même si tout a été pensé par des professionnels aguerris, on peut encore ignorer les détails et l’impact.» Et d’ajouter : «Un coup pareil, on ne le fait qu’une fois. C’était un coup de génie qui prouve la créativité de la RTBF.»

Dix ans plus tard, est-ce que l’émission a laissé des traces au niveau politique ? «Soyons modestes, les ardeurs indépendantistes sont toujours là, et ce n’est pas une émission de télé qui peut changer les choses. Dans les revendications institutionnelles, à partir du moment où on donne de plus en plus de pouvoir aux Régions, indépendamment de l’indépendance de la Flandre, c’est une preuve qu’elles ont plus de poids institutionnel.»

Malgré la «faute» (pour certains), «Bye Bye Belgium» n’a pas entaché la carrière de François De Brigode. «Au contraire, grâce à cette émission, j’ai pu faire ‘Répondez @ la question’, ‘Dossier spécial’ et ‘Jeudi en prime’. ‘Bye Bye Belgium’ a remis les émissions politiques au centre de la grille des programmes.»

La RTBF ne fera pas une grande fête à «Bye Bye Belgium». Pour la Direction de la télévision, c’est, certes, une page de l’histoire de la chaîne, mais pas au point d’en faire une spéciale. En télé, des sujets au JT lui seront consacrés le dimanche 11 décembre et le lundi 12 décembre. L’intégralité de l’émission est à voir ou revoir sur le site de la SONUMA.

Quant au dernier numéro de «Dossiers tabous», sur RTL-TVI, Christophe Deborsu reconnaît que c’est une sorte de clin d’œil. Le journaliste, alors sur la RTBF, avait participé à l’émission, notamment dans un duplex depuis le siège du Parlement flamand, à Bruxelles. Pour le reste, pas ou peu de comparaisons entre les deux programmes.

«Je suis fier d’y avoir participé et fier aussi que ça appartienne à l’histoire de la RTBF», conclut François De Brigode. Et sur l’avenir de notre Plat pays, le présentateur du JT n’est pas inquiet. «Je crois que nous sommes dans un processus en Belgique et en Europe où l’on va donner plus de pouvoir aux régions. Ça ne veut pas dire que le pays va éclater pour autant. On peut tout à fait continuer à bien s’entendre, le tout est de continuer à placer des ponts entre les différentes communautés, surtout sur le plan culturel.»

Un moment historique de la télévision belge qui ne sera sans doute plus jamais reproduit.

Pierre Bertinchamps

Redécouvrez l’émission dans son intégralité :

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici