L’autre visage des Vikings

Vikings naviguant sur leurs drakars © Arte

Valeureux combattant et navigateur hors pair suffisent bien souvent pour dépeindre le Viking dans l’imagerie médiévale. Le documentaire «Prisonniers des Vikings» révèle pourtant que les «fiers guerriers du Nord» étaient surtout des esclavagistes ! À voir ce samedi à 20h50 sur Arte.

Sur les pontons de bois qui bordent le petit port, ils sont là, ils attendent. Le spectacle des enfants hirsutes et braillards, qui gesticulent et se bagarrent, tranche singulièrement avec celui des femmes et des vieillards, immobiles et silencieux. Emmitouflés dans leurs châles et manteaux agrémentés de peaux de rennes, ils ont les yeux fixés sur la ligne d’horizon. Au bout du fjord, les silhouettes de trois voiliers longs et étroits se dessinent.

À bord de leurs «langskips», les Vikings sont de retour après quatre mois d’absence. Ils rapportent avec eux les récits fabuleux de combats homériques et de faits de bravoures, de l’or et des bijoux aussi précieux que les semences découvertes tout là-bas. Mais leur trésor de guerre que celles et ceux restés ici attendent avec le plus de curiosité est fait de chair et d’os, de déportés des territoires attaqués, d’hommes et de femmes libres avant d’être réduits par la défaite en esclavage.

Un commerce florissant

Entre 793 (pillage d’un monastère sur l’île de Lindisfarne, au nord-est du Royaume-Uni) et 1066 (bataille de Hastings), pendant les 250 ans de ce qu’on appelle «l’âge des Vikings», le commerce des esclaves constitue un élément essentiel de l’économie des Vikings. «Même si les peaux et les fourrures, l’ivoire de morse et l’ambre représentaient de bons investissements, les plus gros profits provenaient des esclaves», affirme le philologue Rudolf Simek, membre de la Viking Society for Northern Research.

Pour leurs précieuses marchandises humaines acquises lors des raids, ils trouvent acquéreurs «sur les grands comptoirs commerciaux d’Europe», précise Idavoll, le portail des ressources francophones sur l’âge des Vikings. Le surplus, ils le ramènent avec eux en Scandinavie. Hommes, femmes et enfants : ce sont eux qui vont bientôt débarquer des drakkars sur les quais du village.

Une vie de chien

Le sort qui les attend n’est guère enviable. Les «thralls» (c’est le terme qui désigne les esclaves dans la société scandinave médiévale) sont contraints de porter un tour de cou en fer, leurs cheveux sont coupés courts. Le mariage leur est interdit et s’ils ont des enfants, eux aussi deviennent esclaves du maître qui a sur «ses propriétés» droit de vie et de mort. Aucune obligation de les soigner ou de les abriter : les esclaves ne sont pas des personnes, tout juste des objets, à peine des animaux, auxquels ils sont parfois donnés en pâture un fois morts.

Le magazine National Geographic se base sur un poème pour donner un aperçu de la manière dont ces femmes et ces hommes sont traités par les Vikings au quotidien : «Ils leur donnaient des noms tels que « Bâtard », « Feignasse », « Courtaud », « Puant » et « Imbécile »»…

Une économie basée sur l’esclavage

Les raisons de ramener ceux qu’ils considèrent comme des «sous-humains» sont multiples. Sexuelles tout d’abord. À l’époque, la société scandinave est polygame, mais seuls les mieux nantis peuvent se permettre ce qui est considéré comme un luxe. Les Vikings trouvent le moyen de l’acquérir en ciblant principalement les femmes lors des attaques. «Des études génétiques montrent par exemple que la majorité des femmes islandaises ont des ancêtres écossaises et irlandaises qui étaient certainement les « butins » de ces pillages.»

La deuxième raison est économique. Pour leurs navires, les Vikings ont besoin de main d’œuvre : les esclaves coupent les arbres et construisent les drakkars. Ils ont besoin de voiles : les esclaves participent à la production. Ils ont aussi besoin de bras pour les faire avancer sur l’eau quand il n’y a pas de vent : les esclaves rament.

«C’était une économie qui reposait sur l’esclavage», affirme l’archéologue anglais Neil Price. Travaux aux champs, à la ferme, tâches ménagères… Principal espoir pour un thrall : compter sur un maître qui l’autorise à cultiver un lopin de terre et à revendre le fruit de son travail pour son compte. Ainsi peut-il rêver de racheter un jour sa liberté et de la célébrer en servant son maître une dernière fois lors du grand banquet organisé pour la circonstance.

Mais pour l’heure, les cris de victoire résonnent dans le fjord : les drakkars arrivent au port.

Cet article est paru dans le Télépro du 14/01/2021

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