Le cinéma a la tête dans les étoiles…

Eva Green et Zélie Boulant dans «Proxima» © Isopix

Près de 120 ans après les seize minutes révolutionnaires du cinéaste Georges Méliès, «Le Voyage dans la Lune», les fictions dans l’espace passionnent encore le public, les réalisateurs. Et les acteurs. Aujourd’hui, ils tournent réellement dans l’espace !

Purs divertissements ou fictions à message – dont celui de la protection de notre planète Terre -, longs métrages et séries qui visent les étoiles ont la cote. Cinéphiles friands d’effets spéciaux et néophytes, subjugués par ces récits, ne savent pas toujours que les stars de l’écran vivent elles aussi des expériences qui comblent leurs rêves d’enfants, mais les soumettent à un entraînement souvent exaltant, parfois traumatisant.

Objectif Lune

Lorsqu’en 1921, Méliès planta un obus dans l’œil du plus célèbre sphéroïde, la conquête spatiale n’était qu’un rêve lointain, mais ses techniques d’illusions photographiques furent applaudies jusqu’aux États-Unis. Depuis, être en apesanteur et avoir la tête dans les étoiles ne sont plus un tour de force, mais une habitude. Pourtant, les films qui mettent les acteurs sur orbite continuent d’aimanter les foules. Pourquoi une telle fascination ?

«L’espace reste le mystère ultime», note Ian Harris, journaliste américain et spécialiste ès science-fiction. «Il y a encore tant de choses que nous ignorons. Chaque fiction du genre reste donc stimulante. En opposant l’humanité aux limites de ce qui est possible et connu, les conteurs utilisent les étoiles pour réfléchir à ce qui nous rend humains en nous comparant à ce que l’on n’est pas – des êtres surpuissants issus d’autres sphères.»

Effets spéciaux et poésie

Et à l’instar de la science, les voyages intergalactiques au cinéma et à la télé sont en constante (r)évolution. Dans les années 1960, les décors en carton-pâte de la série «Star Trek» ne trompaient personne, mais les héros, leurs moyens techniques – dont la mythique «téléportation» – et leurs rencontres extraterrestres épataient déjà tout le monde. Durant la décennie suivante, juste après que Stanley Kubrick et son «2001, l’Odyssée de l’espace» (1968) réussirent à rendre «l’au delà» poétique, la saga des «Star Wars» a dépeint nos préoccupations d’ici-bas avec des allégories de plus en plus poético-philosophiques et des effets spéciaux à l’esthétique époustouflante.

Avec l’agence spatiale européenne

Même le sérieux avec lequel les cinéastes écrivent leurs scénarios et conçoivent leurs images n’a désormais d’égal que celui de vrais organismes, tel l’ESA, agence spatiale européenne qui réunit vingt-deux États membres engagés pour l’exploration pacifique de l’espace. Celle-ci s’implique d’ailleurs dans des projets cinématographiques, comme le récent film belge «Space Boy» ou «Proxima» (2019) auquel les spécialistes de l’agence ont prodigué des conseils pour le réalisme et la justesse.

Expérience humaine intense

Eva Green , qui incarne une astronaute dans «Proxima», évoque son émerveillement : «Sur ce film, tourné dans des décors réels, j’ai été impressionnée par les centres d’entraînement, en Allemagne ou à Star City à Moscou, jusqu’à Baïkonour d’où partent les fusées… Cet univers étonnant mêle l’homme et la technologie dans le plus grand défi de tous les temps. Ce tournage restera une de mes plus intenses expériences professionnelles et humaines.» L’actrice a pu s’entretenir avec les astronautes Samantha Cristoforetti et Claudie Haigneré . «Ces pionnières dans un monde très masculin m’ont raconté leurs expériences avec générosité, m’ont parlé de leurs doutes et combats personnels. J’ai découvert ce que ce métier exige de passion, de volonté, de facultés mentales et d’aptitudes physiques hors du commun et à quel point les astronautes sont des êtres exceptionnels, des super-héros. C’est cette soif d’aller au bout de soi-même, au service de la science, qui m’a fascinée !»

Souffrir pour être au (7e) ciel

Anne Hathaway , vedette d’«Interstellar» (2014) confie : «Faire des films peut sembler une entreprise glamour, mais les acteurs sont fréquemment appelés à repousser leurs limites pour rendre les scènes aussi crédibles que possible. L’équipement d’un astronaute est très lourd, surtout pour les épaules car la plupart des équipes sont masculines. Quand j’ai porté le costume pour la première fois, il n’avait pas la forme que je voulais, j’avais un million de choses qui me passaient par la tête : comment paraître naturelle, professionnelle et aguerrie, tout en récitant des dialogues au vocabulaire parfois très sophistiqué.»

Règles et rigueur

Le souci d’authenticité dans un univers si différent de la Terre est un enjeu de taille auquel les comédiens n’ont pas affaire dans d’autres registres. Dans la peau de Mark Watney, laissé «Seul sur Mars» (2015), Matt Damon a puisé en lui une inspiration insoupçonnée : «Avec Ridley Scott, le réalisateur, on a parlé de la rigueur avec laquelle on devait inventer et construire tout un monde. La NASA a travaillé avec nous pour nous assurer que nous étions aussi rigoureux que dans le roman d’Andy Weir dont le film s’inspire et qui a voulu son livre aussi scientifiquement précis que possible !»

Apprendre à se déconnecter

Outre les exigences instaurées par un autre univers, encore faut-il s’y adapter. Si le blockbuster «Gravity» a fait 700 millions de dollars de recettes dans le monde, sa vedette principale, Sandra Bullock , a dû faire preuve d’une patience en or. Défi physique et psychologique pour elle et son partenaire George Clooney, le tournage a principalement eu lieu dans un caisson lumineux où ils étaient suspendus à des câbles et des pinces, telles des marionnettes humaines. Les harnais ont blessé le dos de Clooney, tandis que Bullock a eu besoin d’un physiothérapeute pour de multiples contusions et un bassin malmené.

Moralement, ce n’était pas non plus la grande forme. «Ma situation ressemblait à celle de mon personnage : pas une âme aux alentours, rien ne fonctionne, tu souffres, tu veux que quelqu’un répare tout ça, mais ce n’est pas possible ! Les seules personnes que je voyais en journée étaient celles qui venaient brièvement ajuster un détail. J’ai dû apprendre à me déconnecter, avoir recours à une sorte de méditation en fermant les yeux et en rêvant du moment où j’allais être délivrée. C’est peut-être ça, la vie dans l’espace !»

Cet article est paru dans le Télépro du 11/11/2021.

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