Olivier Monssens : «Dorothée et les productions AB ne nous ont pas rendus plus bêtes»

L'équipe du Club Dorothée et les Musclés © Isopix
Pierre Bertinchamps Journaliste

Le réalisateur belge retrace, dans un documentaire diffusé ce mardi à 20h30 sur La Deux, l’épopée de la «télévision de Dorothée» et de la génération AB Productions.

Bien avant le «Club Dorothée» sur TF1, AB et Dorothée, c’était déjà une longue histoire. Jean-Luc Azoulay écrivait et produisait les chansons que fredonnait Dorothée pour «Récré A2» (Antenne 2). Lorsque la première chaîne française est privatisée, elle recrute la grande copine des enfants. La cour de récré devient un grand empire qui produit parfois plus de six heures de programmes en direct par jour sur la Une. Avec également des séries qui ont marqué toute une génération, et la télévision. L’ère du low-cost à succès était lancée.

C’est cette épopée que le documentaire «Dorothée, Hélène et les garçons : génération AB Productions» va raconter. Une plongée dans nos années 90, contée par Olivier Monssens. «J’avais proposé le documentaire à ARTE, parce qu’il y avait eu une version allemande de « Hélène et les garçons »», explique le réalisateur. «Mais ça n’avait pas laissé de souvenirs impérissables outre-Rhin donc ils n’étaient pas trop intéressés. C’est finalement le groupe TF1 qui m’a recontacté pour TMC qui diffuse toujours « Les Mystères de l’amour »».

D’où vient l’idée de raconter l’épopée de Dorothée ?

C’est Myriam Leroy et Grégoire Comhaire qui, au détour d’un déjeuner, m’ont lancé l’idée. On peut penser ce qu’on veut de ces séries, et on les a tous rejetées à un moment… Mais au final, c’est quand même notre enfance. Quand j’étais jeune journaliste, je faisais une séquence dans «Clip Clip» sur RTL et en parallèle, j’écrivais dans un magazine bien rock qui s’appelait «Rock This Town» et «en cachette», je signais sous pseudo dans «7 Extra». C’était justement en pleine folie «Hélène et les garçons». Et on commençait à parler des coulisses de ces programmes-là. Au fond, je connaissais la matière même si je n’étais pas dans la cible… Ce qui m’intéressait, c’était de retracer toute l’épopée et le côté entrepreneurial d’AB.

On peut parler de véritable success-story ?

Il y a deux phases. Tout d’abord quand ils commencent à s’occuper de Dorothée comme chanteuse en 1977, juste avant qu’elle ne fasse «Récré A2». Très vite, ça devient une machine à tubes, mais ils ne sont pas encore dans la télévision. Ensuite, il y a la privatisation de TF1 par Bouygues, et pour eux, la jeunesse, c’est un terrain qu’ils ne connaissent pas du tout. Ils ont entendu parler d’Azoulay et Berda qui font fructifier la carrière de Dorothée. Presque instantanément, le «Club Dorothée» est un succès et devient le navire amiral des projets qui vont graviter autour, comme les sitcoms. La première, «Salut les musclés», est lancée en septembre 1989. On parle de success-story, de 1977 à 1997, avec un décollage à la verticale grâce à TF1. C’est eux qui ont permis de construire le site de La Plaine-Saint-Denis.

C’était un peu fou de laisser une carte blanche pendant 30 heures par semaine à Dorothée…

En plus du «Club Do», il y a eu les séries. D’abord, une par jour, puis deux,… Effectivement, ça faisait beaucoup. Tout marchait, et d’ailleurs quand ça s’est arrêté, ce n’est pas parce que ça ne marchait plus. Mais, TF1 ne voulait plus laisser 30% de la grille à un seul producteur, et dès 1994, en coulisses, ils ont commencé à créer leur propre catalogue, pour pouvoir se dissocier un peu. C’est comme ça que seront lancées d’autres séries calquées sur le modèle d’histoires AB, comme «Sous le soleil». En contrepartie, AB essayait aussi de mettre des bâtons dans les roues. Sur ce coup-là, AB a cru qu’ils étaient tellement forts que TF1 ne les lâcherait pas. Et il y a eu la création d’ABsat au moment où TF1 lançait aussi son propre bouquet TPS. La relation devenait concurrent contre concurrent sur les opérateurs de télévision.

En 2020, on pourrait refaire ce type de programmes pour enfants ?

Quand le «Club Dorothée» s’arrête en 1997, TF1 va continuer des émissions pour jeunes pendant un an ou deux. Mais, tout va passer à la trappe. Il n’y en aura plus le mercredi après-midi. France 2 va continuer un peu… Ce type de programme, c’est du passé, et puis c’était moins intéressant publicitairement parlant. Les sitcoms AB attiraient aussi les femmes (en plus des enfants), ce qui permettait de vendre à la fois des annonceurs pour les petits et les grands. Les obligations, en France, ont changé et ils ont dû aussi séparer les types de programmes. Ça devenait moins intéressant, d’autant qu’AB avait bétonné les contrats… Pour TF1 c’était clair, plus assez de rentrées pub, on fermait ! Aujourd’hui, investir autant dans un créneau qui n’est pas rentable commercialement, on ne le fera plus. Et de tous temps, la cible des ados a toujours été compliquée sur toutes les chaînes. C’est un temps révolu, à moins d’un miracle.

«Plus belle la vie», c’est un peu un enfant de cette période AB ?

Globalement, au niveau français, là où AB a été initiateur, c’est au niveau de la sitcom. Ils ont ouvert la brèche et donné de l’espoir à des producteurs français. C’est un peu pour ça qu’on a vu apparaître d’autres séries juste après le naufrage. «Plus belle la vie» veut être assez proche de l’actualité dans son scénario, alors que les productions AB étaient déconnectées de la réalité. Azoulay et Berda ont donné une impulsion plutôt.

Pourquoi aucun comédien n’a vraiment percé par la suite ?

Ils ont été marqués du sceau «AB Productions» pendant  plusieurs années. Ils tournaient tous les jours, et c’étaient des séries dont intelligentsia se moquait. Elles cartonnaient, mais elles étaient terriblement critiquées. Parfois, on leur a carrément dit que c’étaient des «acteurs de m…». Après, ils ne jouaient pas tous très bien et ils ont appris le métier sur le tas.

Est-ce que le «A» (Azoulay) de AB aurait fonctionné sans le «B» (Berda) ?

C’est vraiment une histoire de rencontre. Il y en a un qui ramenait l’argent et un autre qui utilisait sa créativité pour en faire. Claude Berda sait ce qui marche, il sait acheter et sait vendre, alors que Jean-Luc Azoulay savait créer en permanence et sur tous les fronts. C’est une rencontre miraculeuse.  Mais, ils sont restés amis malgré le divorce…

Est-ce que chez nous, AB3 n’a pas hérité de cette connotation bas de gamme ?

Effectivement, il y a une sorte de «rejet» vis-à-vis de la marque, dans l’inconscient des gens. Mais je pense que s’ils faisaient quelque chose de bien ficelé et bien pensé, on pourrait aller à reculons sur l’opinion. Si j’ai fait ce film, c’est parce que je me suis rendu compte que pas mal de personnes, il y a dix ans, n’auraient jamais avoué avoir regardé des productions AB, alors qu’aujourd’hui, ils en parlent très ouvertement avec une certaine nostalgie et sans rejet. On savait que c’était du carton-pâte et des rires enregistrés. On a passé l’âge de renier le passé, on l’assume. C’était ce que c’était, mais c’était notre jeunesse, et ça ne nous a pas rendu plus bêtes… Je crois que les adultes d’aujourd’hui qui ont fait partie de la génération «Dorothée» vont être heureux de s’y replonger.

Entretien : Pierre Bertinchamps

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