Psy : ils sont les rois du divan !

Dans «Le Silence des Agneaux», le malin mais pervers Hannibal Lecter a des qualités que beaucoup d'entre nous craignent chez les psys : savoir lire les gens à livre ouvert © ISOPIX

Longtemps, les fictions ont diabolisé les psys en les utilisant comme des personnages capables de manipuler et piéger les autres protagonistes. Une nouvelle génération de fictions les ramène à leur rôle premier : rassurer et soigner.

Depuis quelques années, psychologues et psychiatres font une incursion dans les films et séries. Ces êtres bienveillants conseillent des héros angoissés, mais attachants, comme le font les Dr Kroger et Bell dans «Monk», Ben Sobel, alias Billy Crystal, qui tente d’aider Robert de Niro dans «Mafia Blues» 1 et 2, ou le Dr Charles (Oliver Platt), le psy de «Chicago Med». Ils deviennent désormais des premiers rôles dont on suit les séances avec intérêt. Prenez donc place sur leur divan !

Détectives de l’âme

Anne Charrier, une des premières actrices françaises à incarner une coach de l’esprit, a adoré jouer dans la série «Marjorie» (France 2), réalisée par Ivan Calbérac, où une femme lumineuse et optimiste «sort la psychanalyse de l’élitisme dans lequel on a enfermé cette discipline afin de la rendre accessible à tout un chacun et la désacraliser.» Et d’expliquer au Parisien : «Cette série peut désinhiber par rapport à la psychologie qu’on intellectualise trop.» C’est aussi le but que se sont fixé les cinéastes Éric Toledano et Olivier Nakache («Intouchables», «Hors Normes») pour réaliser leur première série, «En thérapie», jeudi soir sur Arte. «On vit une époque qui valorise l’instant perpétuellement renouvelé, sans place pour s’arrêter ou analyser», note Nakache. « »En thérapie » est à contre-courant, transmet l’idée que la psychanalyse s’adresse à tout le monde, en démontant certains mécanismes pour mieux les faire comprendre !»

Le duo a aussi aimé le défi que représente pareil thème où le décor se résume à un cabinet de consultation et à des face-à-face entre médecin et patient ! Pour créer du suspense et tenir le spectateur en haleine, le secret réside dans les dialogues, les émotions intenses des acteurs et chaque récit déroulé telle une énigme à résoudre par un détective de l’âme.

Personne n’est infaillible

«Chaque épisode est un tour de force !» s’enthousiasme Toledano. «Il faut maintenir la tension avec des ingrédients simples. Une autre temporalité s’installe, la parole acquiert une nouvelle valeur. Les personnages évoquent parfois des choses qu’il est impossible de montrer… C’est comme un cinéma intérieur que le spectateur est amené à explorer ! On a tourné chaque histoire dans l’ordre de la narration. Les comédiens ont ainsi pu vivre un parcours, comme les patients qu’ils interprètent, pour se laisser emporter, se sentir libres de dépasser le texte. C’est la première fois que nous avons fait des prises si longues ! L’essentiel est d’accompagner les acteurs dans leur ressenti pour faire surgir des moments de vérité.»

Le registre est tellement passionnant que la série, inspirée du feuilleton israélien, «BeTipul» (2005-2008), a aussi été adaptée aux États-Unis avec le séduisant Gabriel Byrne dans la peau du psy : «In Treatment» («En Analyse»). Ce rôle subtil a relancé sa carrière et lui a valu maintes récompenses. Et, comme dans les autres versions, l’histoire est intéressante car le soignant a lui aussi des problèmes existentiels !

Funambules engagés

Ce qui colle à la réalité : les psys professionnels ont eux aussi un(e) référent(e) à qui ils se confient régulièrement, car analyser et recevoir les émotions des autres peuvent les atteindre, et devoir résoudre leurs propres conflits intérieurs font d’eux de meilleurs écoutants.

Dans la mouture française, le Dr Dayan, incarné par Frédéric Pierrot («Les Revenants», «Hors Normes»), a aussi ses soucis du quotidien et consulte sa «supérieure», Esther, alias Carole Bouquet. Elle s’est délectée de cet emploi : «On marchait sur des fils, tels des apprentis funambules. J’ai éprouvé un sentiment de vertige, de grande liberté.» Pierrot ajoute : «Être assis durant 35 épisodes face à mes ’patients’ exige un engagement particulier. J’ai pris conscience que l’essentiel était de parvenir à être dans l’instant et me laisser guider par mes partenaires. C’est une série sur la puissance de la parole !»

Pas très rassurants

«Nous nous attendons à ce que nos guérisseurs soient parfaits, mais mon personnage, le Dr Paul Weston ne l’est pas !», reconnaît également Gabriel Byrne qui incarne le psy dans la version américaine. «Je suis beaucoup plus intéressé par le psychothérapeute en tant qu’acteur que par l’acteur en tant que psychothérapeute ! J’admire la façon dont chaque séance chez un thérapeute est une forme de performance, j’ai beaucoup de respect pour cette profession ! Je pense que cette série peut rendre vivante une pratique qui effraie parfois.» Byrne n’a pas tort. Dans les décennies précédentes, les scénaristes réservaient aux psys des rôles d’intrigants peu fiables. Les vrais professionnels se sont d’ailleurs insurgés contre ces caricatures où la connaissance de la psyché d’autrui est utilisée à mauvais escient, pour en faire soit une victime, soit un cobaye. Soignants et patients semblent tout autant perturbés.

Dépasser les clichés

Des fictions effrayantes ont marqué l’histoire du cinéma. Dans «Le Silence des Agneaux», le malin mais pervers Hannibal Lecter a des qualités que beaucoup d’entre nous craignent chez les psys : savoir lire les gens à livre ouvert. Par simple observation, il déduit les moindres pensées de ceux qu’il voit. Le spectateur peut en déduire, avec crainte et à tort, que les psychiatres peuvent percer nos secrets les plus intimes. Et des patients potentiels peuvent alors les voir comme des ennemis potentiels au lieu d’alliés de confiance. Pis, certains risquent de redouter qu’on les entraîne dans des spirales maltraitantes, à l’image de la sadique infirmière Ratched de «Vol au-dessus d’un nid de coucou». Aucune autre spécialité de la santé ne suscite de portraits aussi négatifs. Et bien qu’il existe, comme dans tous les métiers, de bons et de mauvais professionnels, la psychanalyse ne mérite pas cette imagerie si négative.

Fort heureusement, il existe des représentations plus rassurantes, telle l’interprétation de Robin Williams, alias Dr Maguire dans le bouleversant «Will Hunting». Il y aide un jeune surdoué (Matt Damon), maltraité par un père culpabilisateur. Dans une scène mémorable, il dit au garçon : «Mais ce n’est pas ta faute !» Il le libère, lui montre que l’on peut être soi, oser voir la vérité en face, en toute quiétude, dans un cabinet-cocon où le soignant, assermenté, est à l’écoute sous le sceau du secret.

L’interview de Frédéric Pierrot («En thérapie») est à lire dans le Télépro du 28/1/2021

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici