Sandrine Roustan : «La RTBF est le service public le plus moderne d’Europe»

Sandrine Roustan © RTBF/Fred Guerdin
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Elle est la nouvelle responsable du «Pôle contenu» à la RTBF. Rencontre.

C’est la rentrée aussi à la RTBF. Même s’il y a un peu de la griffe de Sandrine Roustan dans les nouvelles grilles, les projets étaient pour la plupart en marche avant le 1er avril 2021 et son entrée en fonction. L’occasion de faire connaissance avec la directrice des contenus du service public.

Les médias, Sandrine Roustan les connaît bien. Biberonnée à l’Esprit Canal, elle conçoit «Télés Dimanche», le premier magazine dédié à la télévision et ses enjeux, sur Canal+ (et diffusé aussi chez nous sur Canal+ Belgique). Elle passera par M6, Endemol, France Télévisions (notamment à la tête de France 4) avant de partir pour la Chine et revenir sur le Vieux continent pour prendre de nouvelles fonctions à la RTBF.

Quel est votre projet global pour la RTBF ?

Je suis arrivée, le 2 avril dernier, et je réfléchis encore… Mais je me suis donné quelques objectifs. J’aimerais développer l’écosystème entre le linéaire (la télé en live) et le délinéarisé (Auvio) pour faire en sorte que l’on apporte un peu plus de contenus digitaux vers le linéaire, et inversément. Quand on crée un projet sur Tipik, il faut qu’il soit transversal dès le démarrage. Le deuxième objectif est d’aller à la rencontre, plus encore, des nouvelles générations avec des contenus que j’appelle des «expériences» à leur destination, que ce soit de l’antenne comme on la connaît mais aussi des applications. Par expériences, je pense à des choses qui existent déjà à la RTBF, comme les visites virtuelles des studios. Elles sont de plus en plus demandées par le public.

Pourtant l’âge moyen du public de la RTBF est élevé…

Il ne s’agit pas de rajeunir les chaînes. Il n’est pas question de vouloir transformer des générations en ce qu’elles ne sont pas. L’intérêt d’avoir un outil de canal de diffusion est de pouvoir proposer de multiples contenus, sur de multiples supports, et pas aux mêmes destinations. Il faut voir global, et pas antenne par antenne. Avoir des plateformes linéaires, des supports délinéarisés, des chaînes à destination de publics spécifiques comme Tarmac et un média global comme Tipik permet de toucher tout le monde. C’est l’objectif des missions de service public.

On ne rajeunira pas les contenus ?

Il ne faut pas chercher à tout prix à rajeunir. Ceux que moi j’aime appeler les enfants de la télé vont de plus en plus sur de nouveaux supports. Ils cherchent des choses sur le net, comme la météo ou l’information. La page Facebook de «Quel temps !» est ultra-cliquée. On ne peut pas considérer que cette cible est à l’ouest. Ce sont des nouveaux usages… C’est vrai que la nouvelle génération arrive, avec ce réflexe de l’instantané quasi instinctif. On va aller plutôt vers des «expériences» de contenus ou de médias. C’est ce que va apporter la réalité virtuelle ou la réalité augmentée. Et plus encore…

Vous avez travaillé en Chine. Ils sont déjà un cran plus loin que nous ?

Oui. Il y a vingt ans, la Chine avait des infrastructures audiovisuelles quasi nulles. Ils ont tout construit avec de la 5G, dès le départ. En termes de volume de contenus, c’est énorme. Ils n’ont plus de chaînes linéaires au sens où nous, on l’entend, mais ils ont une linéarité des chaînes. Cela signifie que tout passe par internet et les Smart TV, donc, il y a de la programmation mais avec des applications de contenus, des plateformes. Ça part dans tous les sens avec du linéarisé et du délinéarisés.

On pourrait imaginer un application «RTBF» sur sa Smart TV ?

C’est une des évolutions incontournables.

Les constructeurs vont s’y lancer sur un si petit marché ?

C’est possible, parce qu’aujourd’hui, c’est un investissement qui est peu cher. Et puis ces applications seront dégéolocalisées pour certains contenus. Notamment, ce qui est produit en propre. C’est pour ça que notre rôle est de développer des contenus locaux. Avec ces produits maisons, on aura les droits et on pourra faire en sorte que les applications des Smart TV ne soient pas limitées au marché belge.

Les télés belges doivent faire avec le débordement des chaînes françaises…

Il y a une richesse des talents belges. Pour preuve : quand je travaillais à France Télévisions, je venais les piquer ici. (rires) Il y a, ici, un vivier, une créativité locale importante. Je trouve aussi qu’en matière en séries, il y a une patte belge qui est reconnue en dehors de «vos» frontières. La série belge a dépassé le territoire de la Wallonie et de Bruxelles, elle est devenue un genre recherché à l’international.

Les chaînes françaises attirent plus de 25 % du public belge. Ça vous gêne ?

Ce n’est ni un plus, ni une mauvaise nouvelle… C’est lié au fait que les Belges ont toujours voulu regarder ce qui se passe en dehors de leurs frontières. Mais ça n’empêche pas que l’audience de la RTBF reste très forte, et nous restons numéro 1…

Pourquoi avoir choisi de postuler à la RTBF ?

D’abord, il y a eu le covid, et en Chine, ça a été assez violent à vivre, en termes de confinement et de déplacement. On s’est vu ne plus pouvoir voyager en Europe. On ne pouvait plus faire des allers-retours. Ensuite, je pense sincèrement que la RTBF est le service public le plus moderne d’Europe. Et je le disais déjà avant d’y venir ! Ce n’est pas assez connu, de mon point de vue. Il y a 4 chaînes de télé, 7 radios, une plateforme digitale, des réseaux sociaux, des chaînes de destinations… l’inventivité est énorme ! C’est super-passionnant de travailler ici. Et puis, il y a le fait de vouloir y amener quelques événements que j’ai vécu en Chine. C’est un service public, et ça m’intéresse plus de faire du contenu de qualité que d’enfermer des gens dans une maison et les laisser s’injurier…

Et la différence de budget pour les grilles entre la France et la Belgique ?

Ça, je découvre ! Honnêtement, c’est compliqué… Mais c’est génial de se dire tout ce qu’on fait à la RTBF avec ce type de budget qui est bien moins important qu’en France. La vision de Jean-Paul Philippot a été essentielle dans le fait d’arriver à faire autant de choses avec moins d’argent.

Quand on vous parle de la RTBF, quel programme vous vient à l’esprit ?

J’ai un vrai attachement pour «On n’est pas des pigeons !». Je l’avais acheté quand je travaillais sur France 4. Ça me fait plaisir de les retrouver et de voir à quel point ils sont implantés. J’ai découvert «Le Grand cactus», que les Français voulaient acheter mais qui est très particulier au public belge, et je pense que ça sera très compliqué à adapter. Et Tarmac est une réussite. Il y a plein de créativité, à la RTBF, qu’il va falloir faire grandir, et c’est aussi un de mes objectifs. Il y a des pépites chez Tarmac qui méritent de se retrouver sur d’autres chaînes linéaires. La RTBF est très forte dans le sport, et c’est aussi un genre à développer parce que ça fédère, que ce soit le sport «actuel», mais aussi les nouvelles disciplines. On va voir que certains sports qui s’essoufflent vont pouvoir renaître grâce à une réalisation façon gaming. Je pense à la MotoGP ou la F1 qui vont cartonner auprès des jeunes. Et Netflix nous a aidés grâce à ses documentaires qui les ont rendus dingues.

Si on vous propose (comme dans la pub) deux tonnelets de France Télévisions contre un de la RTBF, vous faites quoi ?

Je garde la RTBF. C’est trop ch… France Télévisions ! (rires) Il y a plein de choses à faire à la RTBF, avec un patron qui a une bonne vision. Je me sens à l’aise pour essayer de développer des choses, même si parfois, on va aussi se planter… On va quand même tenter, et c’est ça que j’aime bien en Belgique. Vous êtes très ouverts et dans l’humeur du test and learn avec une certaine humilité que j’apprécie.

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