«Travail, salaire, profit» en débat sur Arte : «L’économie est notre nouvelle religion contemporaine»

Gérard Mordillat et Bertrand Rothé ont conçu ensemble cette série © Arte

À travers la série documentaire «Travail, salaire, profit» (diffusée ce mardi dès 20h50), Gérard Mordillat  («Corpus Christi», «Jésus et l’islam») et l’économiste Bertrand Rothé éclairent les principes fondamentaux de notre économie et ouvrent la discussion en compagnie de chercheurs venus du monde entier. Entretien croisé.

Quelle est la genèse de cette série ?

Gérard Mordillat : Tout a commencé par des conversations un peu étranges entre Bertrand et moi… à vélo ! Kilomètre après kilomètre, nous nous sommes trouvé un intérêt commun pour Marx, Ricardo, Keynes… Dans un premier temps, nous avons publié un essai, «Il n’y a pas d’alternative – Trente ans de propagande économique» [édité au Seuil, NLDR]. L’idée de la série a lentement germé de ce travail d’écriture à quatre mains, de nos rencontres, de nos conversations.

Bertrand Rothé : Je suis agrégé d’économie. Expliquer les phénomènes économiques me passionne et j’enseigne cette matière via le prisme de l’histoire. Avec Gérard, nous voulions partager avec les téléspectateurs nos réflexions sur ce sujet de la manière la plus contemporaine possible mais aussi – toujours – dans une perspective historique.

Comment avez-vous sélectionné les vingt et  un chercheurs qui interviennent dans la série ?

G. M. : Nous connaissions leurs travaux et nous avons choisi d’aller à leur rencontre, en France, en Angleterre, aux États-Unis, en Allemagne… Ces rendez-vous étaient essentiels, fondateurs. Nous ne voulions pas leur proposer de répondre à des questions, mais plutôt d’effectuer un travail de réflexion en notre compagnie.

B. R. : Dans un premier temps, nous avons testé les hypothèses que nous souhaitions discuter in fine, face à la caméra. Ensuite nous leur avons soumis un canevas qui listait les points à aborder. Certains thèmes manquaient-ils ? D’autres leur paraissaient- ils hors sujet ? Sur lesquels se sentaient-ils les plus légitimes ?

G. M. : En somme, nous avons établi ensemble un protocole de tournage. Protocole appliqué strictement au moment des prises de vues. Sur la méthode, il existe une grande continuité entre cette série avec Bertrand Rothé et ce que j’ai fait précédemment avec Jérôme Prieur. Mettre en scène des paroles et montrer comment le cinéma opère comme un outil critique.

B. R. : Je suis un admirateur des séries de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur («Corpus Christi», «L’Apocalypse», «Jésus et l’islam»…). L’économie est notre nouvelle religion contemporaine. Elle a ses prêtres, ses dogmes, ses églises, ses schismes. Il faut l’interroger comme ils ont su le faire pour le christianisme et l’islam. Comprendre la manière dont elle s’est fondée, revenir aux textes quand c’est nécessaire : en clair, en faire une lecture historico-critique.

Votre façon de voir l’économie se fonde-t-elle sur un point de vue marxiste ?

B. R. : Marx est un point de départ, une base de réflexion. Mais il n’a jamais terminé «Le Capital». Il a passé l’essentiel de sa vie à lire et a poursuivi sa réflexion. Avec des moyens modernes, nous nous situons dans la même perspective. Juché sur ses épaules, je suis persuadé que nous pouvons prendre de la hauteur et comprendre la crise actuelle du système de production.

G. M. : Marx me paraît un point absolument incontournable pour la réflexion sur l’économie. Personne n’a été plus critique de ses travaux que lui-même. Ne disait-il pas en 1880 : “Je ne suis pas marxiste !” ? C’est donc une pensée qui demeure en action : elle insuffle une dynamique, stimule la critique.  

Quels points abordés dans la série suscitent des avis tranchés chez vos différents intervenants ?

B. R. : L’entreprise, par exemple. Divisée entre le capital et le travail, elle ne peut faire l’unanimité. Pour le philosophe et économiste Frédéric Lordon, c’est le lieu du politique. Pour d’autres, c’est un lieu de la production, d’échanges, de savoir. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il existe plus de convergences que de divergences. Dans notre série, personne ne défend la mondialisation. La convergence la plus importante, celle qui structure tout ce travail documentaire, c’est l’idée que le système de production dans lequel nous vivons, le capitalisme, traverse une crise – la montée de l’extrême droite permet d’en prendre la mesure –, et que sa forme contemporaine, le néolibéralisme, est récusée par tous.

Propos recueillis par Pascale Lagnot 

Découvrez le premier volet de la série :

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