Jorge Semprún : «Résister et regarder vers demain»

Jorge Semprún et Yves Montand, deux amis unis sur le plateau de Bernard Pivot, «Apostrophes», en 1983 © Getty Images

Résistant, homme politique, Européen convaincu, écrivain engagé, scénariste de films cultes, membre de l’Académie Goncourt et président d’Action contre la faim, il a inscrit son histoire en parallèle de l’Histoire. Ce mercredi à 22h50, Arte raconte «Les Mille et une vie de Jorge Semprún».

Jorge Semprún aurait eu 100 ans cette année. Disparu en 2011, il était né en Espagne dans une famille aisée qui aurait pu être heureuse. Les conflits du XXe siècle en ont décidé autrement.

Résistance

Fuyant, avec les siens, la guerre civile espagnole qui va déboucher sur quarante ans de dictature franquiste, le jeune homme découvre Paris, le lycée Henri-IV et la langue française. Mais dans l’Hexagone débute la Seconde Guerre mondiale. Jorge devient résistant. Arrêté par la Gestapo, déporté à Buchenwald, il y subit la torture. Celle-ci n’entame ni son courage, ni son indignation, ni ses illusions. «Je suis entré en contact avec la résistance interne du camp et je me suis fait connaître comme résistant communiste», raconte-t-il plus tard à El Cultural.

Le risque de la liberté

À l’époque, le communisme est considéré par une grande partie de la jeunesse comme la promesse d’un monde meilleur. «Cela comportait un risque, mais c’était aussi une liberté ! Chaque soir, je pouvais me coucher en pensant qu’au moins j’avais pu aider quelqu’un. C’était de petites actions de solidarité, mais d’autres fois non, comme falsifier le dossier d’un camarade pour qu’il ne soit pas déplacé dans une section pire que la mienne.» L’homme relatera plus tard ses douloureux souvenirs dans «Le Long voyage».

Yvo et Jorge

À la fin de la guerre, Semprún travaille comme traducteur à l’Unesco, mais milite en secret contre le régime de Franco sous plusieurs faux noms dont celui de Federico Sánchez. Il gardera de cette période des réflexes traumatiques comme se retourner en rue pour être sûr de ne pas être suivi. Membre du Parti communiste espagnol, l’homme rencontre, lors de ses allers-retours en France, un artiste qui a les mêmes convictions que lui : Yves Montand. Mais en voyage à Moscou pour un spectacle, ce dernier découvre les tristes réalités du communisme et de la classe ouvrière avec «des maisons tristes, une extrême pauvreté».

«C’était le vrai socialisme dans sa nudité, sans le voile trompeur de la propagande», explique Patrick Rotman, auteur de «Yvo et Jorge», biographie sur l’amitié entre Montand et Semprún.

Lutte contre la fachosphère

Si les deux compères ont perdu leur idéalisme, ils poursuivent ensemble le combat contre la fachosphère grâce à des films cultes. Après la politique, Jorge s’est tourné vers l’écriture de livres et de scénarios où brillent la force de la révolte humaniste et la recherche de la vérité. De grands cinéastes (Alain Resnais, Costa-Gavras) adaptent ses messages. Via plusieurs personnages marquants, Yves incarne les souffrances que son ami a vues ou vécues : «Z», «La Guerre est finie», «L’Aveu», «Stavisky».

«Z» marque le 7e art

Selon l’écrivain et journaliste Manuel Hidalgo, «le cinéma politique à la manière de Semprún est resté dans l’Histoire. Il n’y avait rien de tel auparavant, il a eu une énorme influence sur le 7e art. «Z» est le plus significatif : c’est un film d’aventures, de dossiers, proche du reportage et du thriller, une œuvre d’engagement.» Et Rotman d’ajouter : «Montand et Semprún nous y apprennent qu’il faut garder le discernement, la tête froide et se méfier des œillères.»

Et comme le répétait Jorge l’insoumis : «On doit toujours résister et regarder vers demain.»

Cet article est paru dans le Télépro du 7/12/2023

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