Frankenstein, une «hideuse progéniture»

En 1931, l’acteur Boris Karloff marque les esprits en incarnant la créature de Frankenstein au cinéma © Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

En réponse à un défi littéraire, une jeune Anglaise de 18 ans écrit une histoire fantastique, qui deviendra un chef-d’œuvre du genre.

«Tu es mon créateur, mais moi, je suis ton maître», s’exclame la créature à Frankenstein dans «Frankenstein ou le Prométhée moderne». Édité en 1818, ce roman connaît un succès retentissant, au point d’inspirer un nouveau genre, la science-fiction, et de devenir l’un des plus grands chefs-d’oeuvre littéraires et une source intarissable pour le cinéma. Sur La Trois, un documentaire retrace l’étonnante genèse de ce best-seller, né de la plume d’une jeune Anglaise de 18 ans.

L’histoire commence en 1816, la fameuse «année sans été». Le soleil manque à l’appel et un étrange nuage de poussières noires recouvre la planète. À l’époque, nul ne sait qu’il s’agit des conséquences de la violente éruption du volcan indonésien Tambora, l’année précédente. En Suisse, près de Genève, des artistes britanniques passent l’été dans une villa des bords du lac Léman. Parmi eux, la jeune Mary Shelley (1797-1851).

Défi littéraire

Cette jeune Anglaise a fui le domicile paternel deux ans auparavant pour suivre son futur mari, l’écrivain Percy Shelley. Le jeune couple a été invité par Lord Byron, l’un des poètes les plus sulfureux de son temps. Dans cette atmosphère de fin du monde – il neige au mois de juin et l’obscurité tombe à midi -, ces jeunes dandys brillants et décadents prennent du vin d’opium, se lisent des histoires de fantômes au coin du feu et jouent à se faire peur. Au cours d’une nuit d’ivresse, Lord Byron lance un défi littéraire : que chacun écrive une histoire d’épouvante.

Fille de deux écrivains (Mary Wollstonecraft, féministe engagée, et William Godwin, philosophe anarchiste), Mary espère écrire une histoire «qui susciterait un frisson d’horreur, qui glacerait le sang et accélérerait les pulsations du cœur». Mais «je ressentais cette incapacité totale d’inventer, qui est la plus grande misère des auteurs», écritelle. Finalement, après des nuits de cauchemars, aggravés par le deuil de sa fille dont elle peine à se remettre, Mary tombe dans un rêve éveillé et imagine le tout premier monstre de la science.

Créer un être vivant

Elle commence à coucher sur le papier ce qu’elle nommera son «hideuse progéniture», l’histoire de son héros, le Dr Victor Frankenstein, et de son projet fou : créer de toutes pièces un être vivant. Pour composer sa créature, le médecin suisse puise sa matière dans les cimetières. Mais rapidement, le monstre échappe à son emprise, se révolte et s’enfuit… Sans doute marquée par les drames qu’elle a vécus – la mort de sa mère à sa naissance et celle de sa fille Clara -, Mary Shelley est également inspirée par les avancées scientifiques dont elle a été témoin, enfant. À côté des automates au réalisme saisissant, Mary Shelley assiste à une révolution : l’électricité. Grâce à cette énergie que les savants commencent à maîtriser, des expériences tentent de redonner vie à des cadavres.

Deux ans après ce sombre été 1816, l’oeuvre de Mary Shelley est éditée anonymement. Le succès est immédiat et inspire le théâtre londonien, puis le cinéma. Le monstre de Mary Shelley ne tarde pas à devenir une icône du fantastique et de l’épouvante. Les multiples adaptations du roman diffusent l’idée que c’est la créature et non le créateur qui se nomme Frankenstein et surtout imposent l’image d’un monstre muet et dépourvu d’intelligence. Pourtant, sous la plume de son auteure, la créature sans nom, devenue un véritable mythe moderne, se révèle un être complexe et doué de raison et de sentiments…

Cet article est paru dans le Télépro du 19/10/2023.

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