Jonatan Cerrada : «À l’Eurovision, j’étais extrêmement libre»

Jonatan Cerrada © D.R.
Pierre Bertinchamps
Pierre Bertinchamps Journaliste

Il y a tout juste 20 ans, le Liégeois représentait la France à l’Eurovision.

Avec Nathalie Pâque (1989), Jonatan Cerrada est un des «traîtres» qui a prêté sa voix et son talent à la France pour tenter de remporter le Grand-Prix Eurovision de la chanson. C’était à Istanbul (Turquie), en 2004, avec le titre «À chaque pas». Une époque intense pour le jeune chanteur qui venait de remporter la 1re édition d’«À la recherche de la Nouvelle star», sur M6 et RTL, qui l’a propulsé sur la plus grande scène d’Europe en quelques mois.

On vous a rapidement demandé de participer à l’Eurovision ?

C’était très rapide. J’ai gagné «Nouvelle Star» en juillet 2003, et en mai 2004, j’étais à déjà à l’Eurovision à Istanbul. C’était une période de ma vie où tout était à 100 à l’heure, un tourbillon de folie. Et on me proposait toutes sortes de choses, les plus extraordinaires les unes que les autres. L’Eurovision en faisait partie. Celle-là, je ne m’y attendais pas, mais tout n’était que folie et démesure pour moi, à ce moment-là.

Est-ce que c’était un concours qui vous intéressait ?

Oui, je le suivais depuis tout petit, à la maison. L’Eurovision, c’est le rendez-vous familial par excellence où nous étions tous devant la télé. On avait notre feuille de papier pour prendre des notes, et on utilisait les grilles pour donner des points que l’on trouvait dans les magazines télé, à l’époque. On se prêtait au jeu, et je ne ratais jamais une édition.

Était-ce un rêve ?

Si on ne me l’avait pas proposé, je n’aurais pas fait la démarche de me présenter parce que c’est tellement quelque chose de fou. Non, ce n’était pas un rêve. Comme je le disais, je le suivais assidûment, mais jamais il ne m’était venu à l’esprit que j’aurais pu être à la place des chanteurs que je voyais à la télévision.

La surprise a été totale, surtout venant de la France…

Le simple fait de me le proposer était une grande surprise en soi. Ça faisait déjà un an que je vivais en France et ma vie était établie là-bas. Que ce soit la France, plutôt que la Belgique, qui me le propose, n’a pas été une surprise, dans le sens où je travaillais et que ma carrière s’y développait. J’étais sous contrat avec une maison de disques française.

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Vous avez eu votre mot à dire sur la chanson et la performance sur scène, à Istanbul ?

Oui, j’ai été extrêmement libre. «À chaque pas» est une chanson que j’avais composée. Au départ, on m’avait proposé une chanson qui était très chouette de Maxime Nucci (alias Yodelice, NDLR) que j’avais présenté officiellement lors de mes concerts sur la première tournée. Je partais avec ce titre pour représenter la France à l’Eurovision, et puis j’ai changé d’avis. J’ai senti que ce n’était pas tout a fait ce que j’avais envie de proposer. On m’a laissé la possibilité de faire des propositions de titres, et je suis allé travailler en studio jusqu’à ce que je revienne avec «À chaque pas». Que ce soit mon label ou France Télévisions, tout le monde était ravi. J’ai eu carte blanche sur tout. J’avais souhaité travaillé avec Kamel Ouali sur la scénographie. Pour le coup, c’était très confortable.

Une telle liberté avec un résultat qui ne suit pas, était-ce lourd à porter ?

Non, parce que quand on arrive en fin de semaine à l’Eurovision, avec ces moments qui ont été tellement intenses et stressants, on arrive soulagé. Je ne me souviens pas avoir été déçu. Peut-être sur le moment, lors du classement final, mais ce n’est pas un sentiment de déception qui est resté. Je suis vite passé à autre chose. Finir à la 15e place, était tout à fait honorable, et je savais que par la suite, il allait encore se passer plein de choses pour moi. L’Eurovision n’était pas une fin en soi, mais une aventure parmi plein d’autres, à ce moment-là.

Les Belges vous ont aussi soutenus…

C’était un bon compromis parce que la Belgique m’a énormément soutenu, et c’était déjà le cas pendant «Nouvelle star». J’étais porté par quasi tout le pays. C’était précieux.

À 19 ans, comment vit-on ce barnum ?

Je l’ai vécu de manière innocente. Je ne mesurais absolument pas les enjeux, ni dans quoi je mettais les pieds. Je savais que l’Eurovision était une grosse machine de guerre. Et c’était le cas. J’étais très entouré. France Télé et mon label ont œuvré ensemble pour me mettre dans les meilleures conditions possibles. J’avais un coach vocal, mes équipes du label, mon manager, et même mon frère ont pu venir avec moi en Turquie. Je n’ai pas ressenti une réelle pression, mais tout ce qui se passait, à l’époque, me semblait tellement dingue et tellement fou… Le pouvoir de la télé est immense après l’exposition de «Nouvelle star», et j’ai vécu un tel tourbillon que finalement l’Eurovision n’était pas plus dingue pour moi que de faire l’Olympia.

Avec le recul, tout ça n’a pas été trop vite ?

Je n’a pas eu la sensation d’avoir fait une chute, au retour. Je n’ai jamais cessé de travailler. J’ai fait des comédies musicales et j’ai participé à des projets qui étaient peut-être moins exposés médiatiquement mais qui faisaient que j’étais artiste sur scène, et que je vivais de ma passion. Ce qui est le but de tout artiste. Mais, c’est vrai que tout est allé très vite, et je ne m’étais construit en tant qu’adulte, car ça m’est tombé dessus alors que je n’avais que 17 ans. Mais est-ce qu’on est vraiment prêt à quelque chose comme ça ? Même à 20 ans, je n’aurais pas plus été «prêt». Aujourd’hui, à 40 ans, là sans doute que je serais plus armé…

À Istanbul, vous voyiez déjà qui allait gagner l’Eurovision ?

La chanteuse ukrainienne, Ruslana était favorite dès le départ avec une chanson hyperefficace. Je l’ai beaucoup écoutée par la suite. Pour moi, la victoire de l’Ukraine était évidente.

Vous regardez encore l’Eurovision ?

Moins qu’avant… Quand l’occasion se présente, je regarde volontiers. J’ai suivi l’année de Barbara Pravi (2021) parce que c’était une soirée entre potes, et on a passé une excellente soirée. J’ai loupé l’édition de 2023. C’est vraiment quand l’occasion se présente. L’Eurovision, ça se vit en groupe pour avoir une ambiance autour.

Selon vous, est-ce mieux maintenant avec une prépondérance du show ?

Il y a du positif comme du négatif… Je regrette la disparition de l’orchestre – et ce n’était déjà plus le cas, pour moi, en 2004 – mais au moins, nous avions l’obligation de chanter en direct à 100 %. L’artiste le fait toujours, mais ce n’est plus le cas des choristes. Musicalement, ça change aussi la donne. Il y a la surenchère parce que les moyens techniques sont de plus en plus accessibles. J’ai l’impression que les effets techniques se sont démocratisés et que du coup la scénographie prend de l’importance. C’est celui qui fera le plus gros show et le plus impressionnant qui l’emportera au détriment de la musique. Attention, quand on a les deux, c’est génial.

Comment vit-on ces longues minutes passées dans la Green Room après son passage ?

Je n’ai pas de souvenir précis de ce moment-là. Je crois que c’était du soulagement. J’ai fait mon job, et une histoire qui a duré de longs mois touche à sa fin. Quand je repense à l’Eurovision, ce que j’ai en tête, ce sont les quelques secondes avant que j’aille chanter. D’autant que je n’avais pas d’intro, donc je devais me concentrer immédiatement. Là, c’était le gros stress de ne pas rater le gros «clic», dans l’oreillette pour partir au bon moment. Ca n’a duré que 3 secondes, mais ça m’a marqué… Je suis seul sur scène, dans l’obscurité et déjà face au public. Dans 3 secondes, ce sera à moi et beaucoup de gens seront devant l’écran comme la famille et les proches. La pression est folle et je n’ai jamais ressenti ça par la suite.

Est-ce plus facile de représenter la France plutôt que «son pays» ?

Ca n’avait pas d’importance ni d’incidence. La chose qui aurait été différent, c’est qu’avec la délégation belge, de par sa taille et par la proximité des équipes, les rapports auraient sans doute été plus sympa et plus détendus. Ce serait plus confortable, parce que l’humain joue énormément dans ce genre de situation. On ne refera pas l’histoire…

On vous demande encore de chanter «A chaque pas» ?

La chanson de mon répertoire qu’on me demande le plus de chanter, c’est «Je voulais te dire que je t’attends» (le titre qui lui a permis de remporter «A la recherche de la Nouvelle star», NDLR). Je ne peux y déroger. «A chaque pas», je la fais moins souvent en concert, mais quand il y a un set avec mes propres chansons, elle est dedans.

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On ne vous voit jamais sur les concerts de l’Eurovision…

C’est vrai que je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire. Il y a une fan-base très importante autour de l’Eurovision, et ce sont des personnes très fidèles. Elles se souviennent de tout ! J’ai déjà fait quelques conférences sur le sujet, notamment à Madrid, mais pas encore de concerts…

Quel est votre ressenti 20 ans plus tard ?

C’est une autre vie, j’ai envie de dire… Le temps a fait son travail aussi. Il s’est passé tellement de choses depuis, et ma vie à fait un tour à 360°. Elle n’a plus rien à voir avec ce que j’ai vécu. J’y repense avec amusement, et je me dis que c’est absolument dingue. C’est quand je vois la période de l’Eurovision arriver et qu’on me sollicite que ça me revient. Le reste de l’année, j’ai plutôt la tête dans mes projets. Alors, je me dis «ah ouais, c’est vrai, j’ai fait l’Eurovision !».

Vous donnez des cours de chant. Le coaching dans un télécrochet, ça vous plairait ?

Je suis ouvert à toutes les nouvelles expériences à la télévision. J’ai une passion pour le coaching. Ca me plait énormément. Voir la progression d’un élève et lui amener des outils pour avancer, c’est très intéressant. On voit émerger des choses qu’on ne soupçonnait pas au départ. C’est dingue.

Vos élèves savent que vous avez fait l’Eurovision ?

Tout dépend de leur âge… Pour le coup, je ressens vraiment un césure générationnelle.

Est-ce un don le chant ?

Chez moi, il n’y a ni de musiciens, ni de chanteurs dans ma famille. D’après mes parents, c’est inné. Je chantais avant de parler. Et j’ai eu la chance d’avoir un papa (et mes parents en général) qui m’a soutenu et accompagné. Il s’est démené pour moi en me trouvant des contrats, dès mon plus jeune âge. Tous les week-ends, j’avais un concours de chant que ce soit à Liège, dans toute la Belgique ou même à Paris. Au moment de «Nouvelle star», ça faisait 9 ans que je faisais déjà un peu mon métier. Ce n’est pas un hobby pour moi, et c’est grâce à cet état d’esprit que j’y suis arrivé.

Avez-vous des regrets de ne pas avoir eu une adolescence «comme les autres» ?

Non, ça ne m’a jamais manqué parce que j’ai vécu d’autres choses tout aussi plaisantes et épanouissantes. Mon pétage de plomb d’adolescent a eu lieu plutôt vers 23 ou 24 ans… (rires). Là, je me suis rattrapé comme j’avais gagné un peu d’argent.

Vous allez mettre en garde vos enfants ?

J’y ai déjà pensé… Mon fils fera ce qu’il voudra. Je lui fait un peu découvrir la musique et il assiste parfois à des répétitions. Il semble attiré par ça. J’aimerais qu’il fasse ce métier pour les bonnes raisons et pas pour la gloire. Est-ce que le succès rend vraiment heureux ? J’y ai cru pendant longtemps, mais ce n’est pas ça un artiste.

Quels sont vos projets ?

Je n’ai pas de nouveaux projets musicaux. Je continue à créer, mais juste pour moi, et parce que j’en ai besoin. Le coaching prend beaucoup de temps, et je fais des chroniques à la RTBF. Je fais encore des concerts de temps en temps.

Vous êtes du coté de Slimane ou de Mustii ?

Mustii. La chanson me parle un plus, et elle est vraiment chouette…

Entretien : Pierre Bertinchamps

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