«Le Prix de la paix» (Arte) : une série suisse autocritique à gros budget

Extrait de la série © Arte/SRF/Sava Hlavacek

En suivant les itinéraires divergents des membres d’une famille d’industriels helvètes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, «Le Prix de la paix» nous dévoile l’attitude dichotomique d’un pays, supposé terre d’asile pour les victimes juives. Les trois premiers épisodes de cette mini-série inédite sont à découvrir ce jeudi sur Arte, dès 20h50. Les trois derniers, jeudi prochain, même heure.

Avec un budget de 7 millions d’euros , la fiction «Le Prix de la paix» est l’une des séries helvétiques les plus coûteuses. Elle traite du thème délicat de la Suisse de l’immédiat après-guerre. Auteur du scénario, Petra Volpe tisse son récit autour d’une famille d’industriels du textile. Elle s’est appuyée sur de solides recherches comme le volumineux rapport de la commission Bergier, publié en 2002. Il examine l’attitude de l’État helvète envers les victimes du nazisme pendant et après le conflit de 39-45. «J’ai été frappée par un parallèle effrayant : le fait que la Suisse se soit présentée comme une terre d’asile pour les survivants des camps tout en accueillant, en secret, des criminels de guerre en fuite.»

Dans «Un purgatoire très discret : la transition helvétique d’anciens nazis, fascistes et collaborateurs après 1945» (éd. Perrin, 2008), l’historien Luc van Dongen a décrit le processus de reclassement et de réinsertion d’ex-criminels de guerre grâce à des soutiens politico-diplomatiques. Ce «refuge brun», comme il l’appelle, a été tout bénéfice pour le pays et ses alliés. Il accueillait les ressortissants susceptibles de servir l’industrie, les sciences et les services secrets. Après les avoir mis à l’abri de représailles, il leur offrait une ascension professionnelle dans le pays ou à l’étranger. Certains ont bénéficié de la nationalité suisse. À partir de ses recherches, Petra Volpe a imaginé trois jeunes personnages : Eggon, son frère cadet Johann et son épouse Klara. Le premier est enquêteur pour le bureau du procureur général chargé d’extrader les nazis en fuite, à la demande des Américains. Le second cherche à éviter la faillite de l’entreprise familiale. Klara, elle, s’engage auprès de réfugiés dans un foyer de la Croix-Rouge.

Survivants de Buchenwald

En juillet 1945, l’internat de Felsenegg (à une trentaine de km de Zurich) s’apprête à accueillir des enfants du camp de Buchenwald. Quand les camions de la Croix-Rouge arrivent, des orphelins de 16 à 22 ans, lourdement traumatisés, en descendent. Les alliés exerceront de fortes pressions sur le pays pour qu’ils ne soient pas refoulés.

Institutrice dévouée, Charlotte Weber a raconté son expérience et son combat contre les autorités dans un livre. Elle a notamment lutté pour que ces jeunes obtiennent le droit d’être scolarisés sur place. Alors que la direction de la Croix-Rouge lui imposait de maintenir une distance, elle les prenait sous son aile. Le personnage de Klara (Annina Walt) s’inspire d’elle. Felsenegg a accueilli 377 jeunes, objets de plusieurs reportages «bienveillants», avant de «s’en débarrasser» comme l’exigeait le rapport d’un haut fonctionnaire. «C’était une action de relations publiques très calculée», affirme Petra Volpe, qui fait dire à l’un des rescapés de Buchenwald : «Les Suisses, vous êtes comme eux». Comprenez : les nazis. «Cette citation est réelle. Il y avait un antisémitisme en Suisse comme ailleurs. Ces enfants ont été vus parfois comme des criminels, pas des victimes.»

Article paru dans Télépro du 18/03/2021

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