Des épices de sueur et de sang

Les épices avaient une telle importance qu'elles sont devenues monnaie d’échange. Un paiement en «espèces» est ainsi dérivé d’une transaction financière en «épices»... © Getty Images

Prisées depuis la haute Antiquité, les épices ont suscité bien des convoitises, des guerres et une colonisation avec tous ses excès… Ce mercredi à 15h15 sur Arte, la série documentaire «Mange ta soupe» se penche sur les «douceurs amères».

Attribuer la route des épices au voyage de Magellan, dont l’un des cinq navires bouclera un tour complet de la Terre, est très réducteur. Dès l’Antiquité, il ne fait aucun doute que la route de l’encens, ensuite en parallèle avec celle de la soie, nouera des liens commerciaux entre les civilisations gréco-romaines, indiennes et chinoises, apportant ainsi au monde occidental ses premières épices.

Il ne faut pas sous-estimer non plus la domestication des dromadaires et des chameaux qui, plusieurs siècles avant notre ère, a facilité en de longues caravanes l’acheminement des denrées à travers l’Asie et l’Afrique. L’analyse approfondie de la momie de Ramsès II a permis de découvrir que les produits qui ont servi à l’embaumer contenaient déjà du poivre. La Bible fait aussi allusion à plusieurs reprises au commerce des épices, la situation géographique d’Israël en faisant un passage quasi obligé pour ces marchandises.

L’orient des épices

Avec la disparition du monde antique et son remplacement par la civilisation arabe, le centre de gravité des épices se déplace en Orient, l’Europe ne constituant plus qu’un marché périphérique. L’Indonésie actuelle et, surtout, Calicut en Inde en deviennent les plaques tournantes. Mais après les croisades et la redécouverte des épices, la république de Venise acquiert le monopole du transit de ces produits pour l’Europe et les achemine ensuite dans nos contrées par les ports de Bruges et d’Anvers.

La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 abandonnant le Proche-Orient aux mains de l’empire ottoman, mais aussi la découverte de nouvelles routes maritimes, va révolutionner le négoce des épices en lui donnant une dimension planétaire. Les Portugais prennent pied en Asie où, durant plus d’un siècle, ils seront les maîtres du marché tout en conquérant les fameuses îles aux épices au nord des Moluques. Après avoir colonisé les Philippines, les Espagnols tenteront bien de leur tenir la dragée haute, mais c’est plutôt de soie qu’il sera question et non plus d’épices, celle-ci transitant par le Mexique avant de rejoindre le Vieux Continent.

Guerres et massacres

Les Anglais et les Hollandais, ayant eu tort de choisir la pratique d’une religion différente de celle des Portugais, se voient, en représailles, privés d’épices. Ce qui les contraint à se lancer à la conquête des marchés orientaux par la création des compagnies des Indes. Les Hollandais en guerre durant 80 ans avec la monarchie espagnole, n’ayant plus accès à Anvers, fondent leur propre compagnie en partant les armes à la main à la conquête des comptoirs portugais, massacrant les populations qui leur résistent et terrorisant les survivants qui osent contourner le monopole auquel ils sont soumis.

Les Anglais tentent vainement de prendre pied à leur tour dans les îles aux épices, mais se heurtent violemment aux Hollandais qui, durant près de deux siècles, répriment avec une cruauté inouïe toute velléité de révolte des populations locales réduite à un quasi esclavage. Les Français échouent également, même si Pondichéry et Chandernagor rappellent le pied bien léger qu’ils purent poser sur l’Inde. Mais inexorablement, le commerce des épices perd son importance par une demande moins forte et une évolution des habitudes culinaires. Il aura coûté des centaines de milliers de morts et un odieux trafic d’esclaves arrachés à leur terre africaine…

Cet article est paru dans le Télépro du 6/10/2022

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