La tour à mille pieds de Jules Bourdais

Image extraite du documentaire «Eiffel, la guerre des deux tours», à voir ce samedi sur La Trois © RTBF/Prod.
Alice Kriescher Journaliste

Samedi, «Retour aux sources» revient sur la rivalité, née à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, à Paris, entre l’architecte Jules Bourdais et l’ingénieur Gustave Eiffel.

En 1889, un siècle après la prise de la Bastille, la France est le pays tout désigné pour accueillir l’Exposition universelle. Avec un tel anniversaire, le thème de l’événement ne fait aucun doute : la Révolution française ! Cette fois ci, point question de couper des têtes, mais bien de les faire tourner devant le nec plus ultra français. Comme clou du spectacle, quoi de mieux qu’une tour ? Et pourquoi pas, la plus haute du monde…

Qui a la plus grande ?

À la fin du XIXe siècle, les grands esprits des différentes puissances mondiales sont préoccupés par une chose : construire la première tour haute de mille pieds, soit trois cents mètres. À l’époque, ce sont les États-Unis qui détiennent le record du plus grand édifice avec le Washington Monument, 169 mètres. Pour marquer le coup lors de la prochaine Exposition universelle sur le sol français, l’objectif est donc clair : il faut présenter la plus haute tour jamais construite. Dès 1885, Gustave Eiffel dévoile son monumental projet de 300 mètres. Peu de temps après, Jules Bourdais (1835-1915) entre dans la danse en proposant sa «Colonne-Soleil», une tour de granit, haute de 370 mètres, surplombée d’un phare capable d’éclairer tout Paris.

Pierre contre fer

S’il a présenté son concept après Gustave Eiffel, loin d’être l’outsider, Jules Bourdais est plutôt le favori, surtout dans le cœur des conservateurs. «Au-delà de la bataille d’ego, la confrontation cristallise un conflit majeur de l’époque», détaille «Retour aux sources». «Bourdais contre Eiffel, c’est la pierre contre le fer, les architectes contre les ingénieurs, l’École des beaux-arts et les défenseurs du patrimoine contre les adeptes du progrès et de l’industrie.» Et puis Jules Bourdais n’est pas un novice. En 1878, il a remporté, avec Gabriel Davioud, le concours pour la précédente Exposition universelle parisienne qui a donné vie au palais du Trocadéro, aujourd’hui détruit et remplacé par le palais de Chaillot pour une autre Exposition universelle, celle de 1937.

Guerre de réputation

Pour obtenir les faveurs du public et des décisionnaires, l’affrontement entre les deux hommes va notamment se jouer par voie de presse. Dans chacune de ses interviews, Gustave ne manque pas d’insister sur l’idée que sa tour «rendra des signalés services à la science et à la défense nationale». De son côté, Jules peut compter sur ses amis bien placés, comme ce journaliste du Figaro qui, dans un article paru en janvier 1885, écrit : «Monsieur Bourdais vient de mettre au jour un autre projet qui mérite l’épithète de grandiose.»

Côté politique, Bourdais est soutenu par le nouveau président du Conseil, tandis qu’Eiffel a les faveurs du ministre du Commerce, en charge de… mettre sur pied l’Exposition ! Le 1er mai 1886, ce dernier décide qu’il est temps de trancher entre les deux hommes et lance officiellement le concours, à l’intitulé à peine partial, «en vue d’étudier la possibilité d’élever sur le Champ de Mars une tour de fer à base carrée de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur».

«Jules Bourdais, pris de court, participe tout de même en remplaçant la pierre par le fer pour sa Colonne-Soleil», détaille le site de la tour Eiffel. Trop tard, «le projet de Gustave Eiffel et de son architecte Stephen Sauvestre finit par remporter le concours pour la construction de la tour de 300 mètres».

Cet article est paru dans le Télépro du 2/11/2023

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