«Le Lac des cygnes» : dépoussiéré par Noureev !

En octobre 1964, à l’Opéra de Vienne, Rudolf Noureev, 26 ans, signe une nouvelle chorégraphie du «Lac des cygnes» de Tchaïkovski, dont il interprète le premier rôle masculin aux côtés de Margot Fonteyn, son aînée de dix-neuf ans, avec laquelle il formera un duo légendaire © Arte/Unitel

Que les profanes ne s’y trompent pas. Ce célèbre ballet n’est ni une sucrerie pour doux rêveurs ni une œuvre de chochotte. Surtout depuis sa relecture par un rebelle. Ce dimanche à 18h55, Arte consacre un documentaire à la version Noureev, datant de 1964.

Grâce à la culture pop (le film «Black Swan», des pubs, des versions scéniques récentes et provocantes), «Le Lac des cygnes» a traversé les siècles. Créé en 1877 sur une chorégraphie du Tchèque Julius Reisinger (1827-1892), reprise par les célèbres Petipa, Ivanov, puis Bourmeister, et sur la musique envoûtante de Tchaïkovski, le récit est a priori simple : un prince, Siegfried, s’éprend d’une princesse, Odette, changée en cygne blanc par un cruel magicien, Rothbart. Seul l’amour la délivrera. Mais quand le Prince veut l’épouser, il choisit à tort Odile, sosie d’Odette et fille maléfique de Rothbart, scellant la malédiction à jamais.

Complexités humaines

Si l’histoire a connu des variantes – avec des fins heureuses ou dramatiques -, la chorégraphie et la psychologie des héros n’ont guère changé jusqu’à la relecture d’un certain Rudolf Noureev (1938-1993), danseur russe exilé en France, dont le fort caractère aspire à tout révolutionner.

«Quand j’étais un jeune étudiant à Leningrad, on nous martelait que la danse russe était la meilleure», raconta-t-il au New Yorker. «Mais quand j’ai vu l’American Ballet Theatre venu en Russie, un nouveau monde s’est ouvert. Il y avait d’autres façons de danser ! Arrivé en Occident, je suis devenu obsédé par le besoin d’apprendre, de faire de nouvelles choses et d’enfoncer les portes.»

Noureev présente une nouvelle version du «Lac des cygnes» en 1984. Loin des mièvreries stéréotypées, elle véhicule des émotions puissantes et une psychologie appuyée représentant, via la chorégraphie, la condition humaine et ses complexités.

Prouesses physiques intenses

Les rôles sont étoffés. Siegfried n’est plus un être effacé, Odette est avant tout une femme et non plus un volatile, Odile affiche sa sensualité vénéneuse et Rothbart se mue en un méchant charismatique. Cette théâtralité ajoutée exige des danseurs de bouger autrement. Entre mesure et démesure, ils doivent ciseler leurs interprétations à travers leurs gestes, des prouesses physiques intenses. Ce challenge est particulièrement éprouvant pour la ballerine. À la fois Odette et Odile, elle doit exprimer cette duplicité.

«Ces rôles requièrent une profondeur remarquable car ils traduisent le conflit qui existe en chacun de nous !», explique la première danseuse du ballet de La Scala Nicoletta Manni. «Le cygne blanc est tout en frémissements et ports de bras fluides. Le cygne noir, avec sa vivacité explosive, est plus rapide. Il faut montrer qu’Odile est une séductrice calculatrice.» Et très sûre d’elle. Comme l’illustre la «coda» (finale) d’Odile, moment très attendu par le public car la ballerine, qui a alors déjà dansé près de trois actes, doit exécuter sans faillir, trente-deux «fouettés» en tournoyant sur une seule jambe. Le numéro est époustouflant !

Défis techniques

Ces défis interprétatifs et techniques, pour les artistes féminins et masculins, font le sel de la version de Noureev. Tant et si bien que celui-ci a inspiré nombre de nouvelles et audacieuses adaptations (dont celle de Mats Ek ou de Matthew Bourne avec uniquement des hommes tout en plumes), toujours destinées à couper le souffle des danseurs. Et des spectateurs.

Cet article est paru dans le Télépro du 14/12/2023

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