Le livre maudit de Boris Vian

Le sulfureux «J’irai cracher sur vos tombes», écrit par Boris Vian, alias Vernon Sullivan, éclipsa le véritable chef-d’œuvre de l’auteur, «L’Écume des jours» © Arte/akg-images/Paul Almasy

Pour «J’irai cracher sur vos tombes», Boris Vian a pris le pseudo de Vernon Sullivan. L’ouvrage fera scandale et finira par le tuer.

«J’irai cracher sur vos tombes» – le titre choque d’emblée. C’est celui d’un roman paru à Paris en novembre 1946. L’éditeur le présente alors comme «le roman que l’Amérique n’a pas osé publier». Son auteur, Vernon Sullivan, est totalement inconnu. On sait juste de lui qu’il est afro-américain. Le livre va faire scandale, comme le raconte Arte, ce mercredi à 23h20 le documentaire «J’irai cracher sur vos tombes – Rage, sexe et jazz».

Une histoire de vengeance

«J’irai cracher sur vos tombes» est une dénonciation de l’Amérique raciste et puritaine de l’époque. Le héros, Lee Anderson, est un jeune Métis. Né d’une mère blonde, il est plutôt blanc de peau bien qu’il soit noir de cœur. Son jeune frère, lui, était Noir. Il a été lynché par des Blancs pour être tombé amoureux d’une femme blanche. Pour le venger, Lee décide de tuer deux jeunes bourgeoises blanches…

Le récit est empreint d’une grande violence, mais laisse aussi une place importante à la sexualité. Boris Vian se présente comme le traducteur du texte. Dans la préface, il explique avoir rencontré Vernon Sullivan, qui lui aurait remis son manuscrit en main propre. La réalité est cependant très différente…

Outrage aux bonnes mœurs

Au début de l’été 1946, Boris Vian fait la connaissance d’un éditeur qui cherche des romans noirs à l’américaine pour lancer sa maison d’édition. Vian n’a jamais traversé l’Atlantique, mais il est fasciné par l’Amérique – comme beaucoup de jeunes de ces années-là. C’est aussi un passionné de jazz. Il profite donc d’une quinzaine de jours de vacances à la mer pour se lancer dans l’écriture d’un roman noir.

À la manière d’Henry Miller, il y ajoute quelques scènes de sexe pour faire parler et faire vendre. Peu après la publication, une ligue de moralité dépose plainte pour outrage aux bonnes mœurs et incitation à la débauche. L’affaire se corse au printemps 1947 quand un homme met le livre en scène à côté du cadavre de la femme qu’il vient d’assassiner. La presse titre : «Un homme étrangle sa maîtresse en suivant les méthodes de son livre de chevet.»

Vian est mis en cause. Pour prouver qu’il n’est pas l’auteur du texte, il en fait rédiger en vitesse une traduction en anglais qu’il présente comme l’original. Le retentissement de l’affaire fait de «J’irai cracher sur vos tombes» le best-seller de l’année 1947. Le livre sera finalement interdit par la justice en 1949.

L’Écume des jours

Pour Boris Vian, le vrai souci est ailleurs. L’affaire Sullivan éclipse son œuvre véritable. Si «L’Écume des jours» compte aujourd’hui parmi les classiques de la littérature d’après-guerre, sa parution en mars 1947 passe totalement inaperçue. À l’inverse de Sullivan, l’auteur Vian n’a aucun succès. Il préfère donc se consacrer au jazz et à la chanson. C’est ainsi que son nés «J’suis snob» ou «On n’est pas là pour se faire engueuler». Mais aussi «Le Déserteur» – une chanson rapidement interdite pour antimilitarisme en pleine guerre d’Indochine.

Un canular mortel

Boris Vian n’en a pourtant pas fini avec «J’irai cracher sur vos tombes». À la fin des années 1950, le livre est adapté au cinéma. L’auteur a peu à peu été exclu du projet. Il le vit mal. Le 23 juin 1959, il est pourtant invité à l’avant-première du film dans un cinéma proche des Champs-Élysées. C’est là, durant la projection, qu’il meurt d’un arrêt cardiaque, à l’âge de 39 ans. Conçu comme un canular, ce livre aura fini par le tuer. 

Cet article est paru dans le Télépro du 10/11/2022

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