Nanocorps : le superpouvoir des camélidés

La morphologie des chameaux leur permet de s'adapter à des environnements très inhospitaliers © Arte/Seppia Films
Alice Kriescher Journaliste

Samedi à 22h20 avec le documentaire «Un remède de chameau : la révolution des nanocorps», Arte nous fait découvrir l’histoire d’une étonnante découverte médicale qui a démarré chez nous, à Bruxelles, et qui a pour personnage principal un chameau !

Entre leur aptitude à vivre dans des conditions plus que désagréables et leur système immunitaire proche de la perfection, focus sur les camélidés, une espèce qui intéresse de plus en plus la communauté scientifique.

Animal baroudeur

Originaires d’Amérique du Nord, l’apparition des camélidés date d’environ 40 à 45 millions d’années. Ils n’étaient alors pas plus grands qu’une chèvre. Il y a 15 millions d’années, le groupe originel s’est séparé en deux lignées. Ceux restés sur le sol américain ont migré vers l’Amérique du Sud pour devenir les lamas et les alpagas que nous connaissons aujourd’hui, tandis qu’un autre groupe a pris la route du détroit de Béring direction l’Asie puis l’Afrique. Ils sont les ancêtres communs des chameaux (deux bosses et originaires d’Asie) et des dromadaires (une bosse et originaires d’Afrique).

Fascinantes capacités

Dans le monde des camélidés, le chameau impressionne par son adaptabilité à un lieu de vie sérieusement hostile comme, entre autres, les steppes du Kazakhstan. «Le chameau est une «machine» capable de vivre dans des conditions extrêmes. Extrême chaleur, extrême sécheresse, extrême sous-alimentation…», détaille, dans le documentaire, le vétérinaire spécialiste des camélidés Bernard Faye. Pour expliquer cette endurance hors du commun, la raison la plus évidente saute aux yeux comme une bosse en plein milieu du dos. «Beaucoup de gens pensent qu’il s’agit d’une réserve d’eau, c’est absolument faux. C’est une réserve, d’énergie et de graisse. Le fait de concentrer tout ce gras en un seul lieu, ou deux, fait que le reste du corps en est relativement dépourvu, ce qui permet la dissipation de la chaleur lors de températures qui, dans la steppe, peuvent monter jusqu’à 50 °C.» Grâce à ce mécanisme régulatif, le chameau peut se passer d’eau pendant plus de trois semaines. Autre atout majeur dans la stratégie de survie de l’animal, il n’est pas compliqué point de vue menu : épines, chardons, orties… «À l’intérieur de ses joues, c’est de la corne», poursuit Bernard Faye. «De plus, il est capable de manger des herbes au ras du sol tout comme des feuilles jusqu’à 2,5 m de hauteur.»

Tête chercheuse

Visiblement bénis par la nature, les camélidés sont aussi pourvus d’un système immunitaire extrêmement robuste. C’est à l’université de Bruxelles que la raison de cette immunité spectaculaire a été découverte. Dans les années 1990, l’on demande à des élèves en médecine de donner du sang pour les besoins d’une expérience, ces derniers refusent par crainte de contracter le VIH ou une hépatite. Leur professeur s’emploie alors à trouver un système D sous la forme de sang de chameau conservé au congélateur universitaire. Par pur hasard, le groupe découvre dans le sang de l’animal d’étranges anticorps, aux allures de missiles à tête chercheuse, jusqu’alors jamais observés. Ils comprennent que ces molécules ultrarésistantes, présentes chez tous les camélidés, que l’on nommera «nanocorps», ont la capacité de se faufiler dans des endroits de notre corps où les autres sont incapables de se rendre. «Les nanocorps affolent les grands laboratoires pharmaceutiques, dont Sanofi qui rachète pour 3,9 milliards d’euros la start-up fondée par les universitaires bruxellois», relate le documentaire.

Et aujourd’hui ?

Si les espoirs pour contrer de grandes maladies comme le cancer ou Alzheimer grâce aux nanacorps sont toujours permis, tant la recherche s’active autour de ces pistes, depuis leur découverte, ceux qu’on appelle aussi «anticorps à domaine unique» ont déjà été mis en application dans différents domaines biotechnologiques, thérapeutiques et diagnostiques. Tout récemment, durant la pandémie de covid-19, par exemple, une équipe de l’Institut Karolinska de Stockholm est parvenue à identifier des nanocorps capables de soigner les formes sévères de la maladie. Ces derniers, issus d’alpagas, s’étaient déjà montrés efficaces contre plusieurs variants du SARS-CoV-2.

Cet article est paru dans le Télépro du 25/1/2024

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