Où sont passés les cœurs des rois ?

Image extraite du documentaire diffusé ce jeudi sur France 5 © France 5/Capa/Matcha
Giuseppa Cosentino Journaliste

Jeudi à 21h05 dans «L’Histoire au scalpel», France 5 passe au scalpel l’étrange histoire de ces rois enterrés sans leur cœur… qui aurait servi de pigment de peinture !

Quelle étrange coutume que d’enterrer un roi évidé de son cœur. Pourtant, dès le XIIIe siècle, en France, aucun sang royal n’y échappe. Le premier monarque à se livrer à cette pratique d’inhumation, dite multiple, est le bien nommé Philippe III le Hardi (1245-1285). Son fils Philippe le Bel lui emboîte le pas. «Le cœur est systématiquement offert à une communauté religieuse tandis que le corps est déposé à Saint-Denis», écrit l’historien Alexandre Bande (1). Mais par quel sacrilège certains d’entre eux ont-ils pu se retrouver… dans un tableau ? Reconstitution de l’autopsie.

Rituel

Dans une société chrétienne, le cœur, symbole de piété, occupait une place prépondérante. À la mort d’un roi, «le médecin pratiquait une autopsie, puis l’éviscération, afin de remplir le corps de «baumes» – pour l’odeur ! -, en faisant attention de ne pas endommager le cœur, retiré avec soin», explique Philippe Charlier, médecin légiste qui mène l’enquête dans le documentaire de France 5. «L’organe était ensuite trempé dans de l’esprit de vin ou de l’huile de térébenthine, puis séché au moyen de plantes aromatiques avant d’être déposé dans un reliquaire et conduit à son lieu de repos.» Cette pratique de sépultures séparées «est venue d’Angleterre et a été diffusée par des chevaliers morts en croisade, loin de France», précise Alexandre Bande. Recevoir un cœur royal était un immense privilège. Ceux de Louis XIII et de son fils Louis XIV, par exemple, furent légués aux jésuites de l’église parisienne Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais. Mais leur joie fut de courte durée…

Rouge sang !

À la Révolution française, la plupart des reliquaires sont profanés, puis détruits ou vendus. Que faire des cœurs ? Les artistes peintres, en mal de ce fameux pigment rouge-brun digne des plus grands Rembrandt ou du Caravage, n’hésitent pas une seconde… En temps normal, cette couleur prisée était obtenue «à partir de restes de momies égyptiennes», relate Philippe Charlier (2). Mais, en temps de guerre, l’approvisionnement venant à manquer, il faut bien se rabattre sur des matériaux… «locaux». Les cœurs royaux s’arrachent à prix d’or ! «Ceux des reines Anne et Marie-Thérèse d’Autriche et du frère de Louis XIV, notamment, ont servi de pigments au peintre français Martin Drölling (1752-1817)», relate Le Point. Son lumineux «Intérieur d’une cuisine» s’admire encore au Louvre. Quant à Alexandre Pau de Saint-Martin (1751-1820), moins gourmand, il n’utilisa qu’«une partie du cœur du Roi-Soleil» – décrit comme «fort gros» – pour sa sanglante «Vue de Caen». Il restitua ensuite tout l’attirail, ainsi que l’organe de Louis XIII – «intact», jura-t-il ! -, à la Restauration, en 1815. Quel grand cœur !

À lire

  • Alexandre Bande, «Le Cœur du roi. Les Capétiens et les sépultures multiples, XIIIe-XVe siècle», 256 pages, 21 € (Tallandier)
  • Philippe Charlier et David Alliot, «Autopsie des cœurs célèbres», 240 pages, 19,90 € (Tallandier)

Cet article est paru dans le Télépro du 16/11/2023

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