Suzanne Noël : le féminisme au scalpel

Suzanne Noël, qui a dû s’imposer dans un monde essentiellement masculin, est souvent considérée comme la mère de la chirurgie esthétique moderne © RTBF/Bonobo Production

Suzanne Noël, première femme à pratiquer la chirurgie esthétique et féministe engagée, doit sortir des oubliettes de l’Histoire ! Ce samedi à 20h30, La Trois diffuse le documentaire «Suzanne, le bistouri et le féminisme».

Recourir à la chirurgie esthétique est-il pour les femmes un signe d’émancipation, d’affirmation de soi ou au contraire, une soumission aux diktats de la beauté et de la jeunesse ? S’agit-il d’une démarche féministe ou d’une intégration des critères imposés par les hommes ? C’est la question soulevée samedi par le documentaire «Suzanne, le bistouri et le féminisme», sur La Trois, qui dévoile le destin d’une femme hors du commun.

Une femme libre et inspirante

Suzanne Gros naît en 1878 en Picardie. À 19 ans, elle épouse un jeune dermatologue, Henry Pertat, qui l’emmène à Paris. Elle veut entamer des études de médecine, mais le monde médical, où les hommes sont majoritaires, voit d’un mauvais œil l’arrivée de quelques femmes. Suzanne se doit donc d’être la meilleure de sa promotion pour justifier sa place. Elle veut conquérir sa liberté professionnelle, mais aussi amoureuse. Sur les bancs de l’université, l’étudiante n’est pas toujours concentrée… Un autre élève, André Noël, devient son amant, puis le père de leur fille adultérine. Suzanne quitte le domicile conjugal, vit seule et se consacre à ses études.

En assistant à l’opération d’une femme à la joue brûlée, Suzanne se passionne pour la chirurgie esthétique. Son habilité manuelle étonne ses maîtres. Mais le corps médical rechigne à laisser les femmes opérer… Suzanne convainc la célèbre Sarah Bernhardt, qui se plaint de son lifting raté, de se laisser opérer une nouvelle fois. C’est une réussite. Notre interne de 34 ans décide de mettre ses mains au service de la beauté féminine. L’horreur s’en mêle, avec la Première Guerre mondiale et ses rescapés mutilés, aux visages déchiquetés. C’est l’opportunité pour Suzanne d’opérer de nombreuses «gueules cassées» et de s’exercer. Son mari meurt à la guerre. Elle épouse André Noël.

Une féministe engagée

La paix revenue, Suzanne exerce sous la licence de son mari, dans son appartement. La chirurgienne veut réparer les marques du temps. Selon elle, il s’agit d’un outil de défense sociale qui permet aux femmes de trouver un emploi et donc d’être indépendantes. Car, en toute discrimination, les femmes sont souvent engagées sur leur apparence… Et un visage ridé empêche une femme de garder son travail. Bien avant l’heure, Suzanne constate que les femmes ont une «date de péremption». Nous sommes dans les Années Folles. Les femmes envoient valser leur corset, mais il faut conquérir une autre liberté, celle des urnes ! Suzanne organise des manifestations et devient une militante très active.

Hélas, un nouveau drame survient. À 13 ans, sa fille Jacqueline meurt de la grippe espagnole. Dévasté par le chagrin, son mari se suicide. Suzanne se retrouve seule et consacre sa vie aux autres. Elle crée la section française des «Soroptimist», réseau qui mise sur la solidarité féminine comme outil politique. La chirurgienne ne délaisse jamais le bistouri. Elle fait payer celles qui en ont les moyens, d’où sa réputation de «Robin des bois de la chirurgie esthétique». Invitée par les États-Unis qui veulent découvrir ses pratiques chirurgicales, elle entame ensuite des voyages partout dans le monde, où elle enseigne sa technique. La Seconde Guerre mondiale interrompt ses voyages. Suzanne opère des Juifs recherchés et des résistants. À la Libération, elle efface les tatouages des rescapés des camps. À 70 ans, Suzanne opère toujours, même si les critères de la beauté féminine évoluent vers des formes plus pulpeuses… Elle mourra en 1954, après une vie emplie de liberté et de combats.

Cet article est paru dans le Télépro du 29/2/2024

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