Tunnel du Brenner : le léviathan des Alpes

Un projet titanesque, qui ne fait pas que des heureux © Getty Images

Le tunnel du Brenner sera le plus long ouvrage ferroviaire sous-terrain continu du monde… quand il sera achevé. Un sujet évoqué ce mercredi à 18h55 dans «Arte Regards».

Géant, pharaonique, colossal : les adjectifs se bousculent pour qualifier la construction du tunnel du Brenner. Avec son tracé de 64 km pour relier la banlieue d’Innsbruck, en Autriche, à la ville italienne de Fortezza en passant sous les Alpes, il sera le plus long tunnel sous-terrain de la planète. Enfin presque. Si on veut être tout à fait exact, la partie qui passe sous le col du Brenner représente un peu plus de 55 km, soit 2 km de moins que le tunnel du Saint-Gothard (57 km). Un chaînon capital pour le réseau transeuropéen de transport. En particulier pour le corridor scandinavo-méditerranéen, qui reliera Helsinki, la capitale finlandaise, à La Valette, sur l’île de Malte. Il permettra aux voyageurs et aux marchandises de traverser les frontières allemandes, italiennes et autrichiennes sans devoir passer par la route. Géant ? Pharaonique ? Colossal ? Pour les explications, embarquement immédiat.

Attention à la marche

Depuis de nombreux siècle, le col du Brenner avec ses 1.350 mètres d’altitude, c’est une fameuse marche à franchir entre le nord et le sud de l’Europe. Par les pèlerins sur la route de Rome, par les artistes voulant découvrir les trésors culturels italiens, par les commerçants de tout poil vers les denrées méditerranéennes. Comme le rappelle le portail Persée et Universalis, dès 1860, plus de 25.000 voitures à cheval passent par-là. Le train y siffle pour la première fois sept ans plus tard. La ligne de 129 kilomètres entre Innsbruck et Bolzano compte 27 tunnels et de nombreux viaducs. «La seule grande liaison internationale qui traverse les Alpes à ciel ouvert» est une prouesse technique remarquable. Elle éclipse pratiquement la route… qui prend sa revanche avec la construction de l’autoroute A13 entre 1959 et 1962. Quant à la ligne ferroviaire, l’association La Transalpine résume sa situation en 2005 : «Aujourd’hui, cette ligne arrive à saturation, et les Autrichiens songent à la doubler en perçant un tunnel de plus de 50 km.» Le projet du tunnel de base du Brenner est sur les rails.

En voiture

En réalité, on en parle déjà dans la deuxième moitié du XXe siècle. L’idée est alors de construire une ligne de 12 km. Nettement plus modeste que celle développée par la suite. Quand le premier coup de pioche est donné le 18 avril 2011 (les travaux préparatoires ont commencé en 1999), on parle alors d’un tracé de 64 km. Les deux tubes du tunnel ferroviaire souterrain passeront à travers la base des Alpes orientales sous le col du Brenner (à 790 m d’altitude). Avantages. Quelques chiffres appuient la pertinence du projet. D’abord, la capacité de supporter un poids de 400 trains (selon les sources, 80 % de trains de marchandises et 20 % de trains de voyageurs), des trains qui circuleront à 160 km/h pour les marchandises et à 250 km/h pour les voyageurs. La durée du trajet pour joindre les deux régions (Innsbruck et Fortezza) passe de 2 h à 50 minutes. Outre le gain de temps, le résultat escompté est aussi de tripler le trafic de fret par le rail. Conséquence : une réduction du nombre de poids lourds sur les routes et une diminution considérable des émissions de CO2 .

Dans le dur

Un beau projet sur le papier. La réalité est moins plaisante. Prévue pour 2016, l’inauguration n’a cessé d’être retardée : 2025, 2028, 2030… Aujourd’hui, il est question de 2032, mais pour certains, 2040 serait plus réaliste. Des retards principalement dus à des problèmes entre la société gestionnaire et des sous-traitants, problèmes qui ont entraîné de nouveaux appels d’offre etc. etc. Côté budget aussi, les prévisions sont pulvérisées. Le coût, financé à 50 % par l’Europe et pour l’autre moitié par l’Autriche et l’Italie, est estimé à 8,4 milliards d’euros. C’est 40 % de plus que l’enveloppe initiale. Quant à l’effet écologique, une enquête d’Investigate Europe, la coopérative transfrontalière de journalisme, s’interroge. L’autoroute du Brenner reste parmi les moins chères. Pourquoi les transporteurs choisiraient-ils le fret ferroviaire ? «Tunnel ou pas, sans une augmentation des péages et du prix du diesel en Italie, le transfert de la route vers le rail n’aura pas lieu», conclut l’enquête. Au Brenner, on ne voit pas encore le bout du tunnel.

Cet article est paru dans le Télépro du 14/9/2023

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