Du poison sous nos pieds

Pendant les guerres du XXe siècle, nos champs ont recueilli quantité d'obus et autres mitrailles © Getty Images

Armes, munitions toxiques, produits chimiques et déchets en tout genre polluent nos sous-sols. Ce samedi à 22h30, La Trois diffuse le documentaire «Un héritage empoisonné».

La camionnette des démineurs sillonne la campagne du Westhoek. À l’extrémité de la Flandre belge, entre la mer du Nord et la Flandre française, des champs, encore et toujours des champs de choux, de betteraves, de patates… Sur fond d’odeur de lisier, tout ici semble respirer la paix. Comment imaginer qu’à une époque, ce fut l’enfer ?

1,5 milliard d’obus

Un demi-million de soldats sont morts ici pendant la guerre 14-18. Un milliard et demi d’obus se sont abattus. Un sur trois n’aurait pas explosé sur ce sol très boueux. Une pluie meurtrière, aussi drue que celle qui tombe sur les deux démineurs en tournée. Sortis de leur véhicule. Au pied d’un poteau électrique, ils s’emparent avec précaution de la dangereuse «récolte» d’un agriculteur. En retournant ses terres, il a mis au jour plusieurs obus. Ceux-ci contiennent peut-être des gaz toxiques.

Héritage empoisonné

En attendant de le vérifier au centre de démantèlement à Poelkapelle, les militaires les déposent dans la benne sur un lit de sable, puis ils reprennent leur tournée : plus d’un siècle après la Première Guerre mondiale, plusieurs dizaines de tonnes d’obus sont encore exhumés chaque année dans la région. En plus des risques d’explosion, leur contenu potentiellement toxique peut contaminer le sol. Ce n’est pas le seul héritage empoisonné que nous a laissé le conflit, loin de là.

Péril sous la mer

À quelques kilomètres de là, dans la mer du Nord, au large de Knokke et de Zeebrugge. Les images sous-marines sont édifiantes. Dans les fonds marins obscures, un homme grenouille se fraie un passage entre des monceaux de caisses d’obus et d’armes. Voix off du réalisateur Jacques Loeiulle : «Dans la mer du Nord et la Baltique, les alliés ont volontairement coulé des navires transportant des centaines de millions de tonnes d’armes chimiques». En épluchant les archives de l’armée, Jacques Loeiulle découvre un document daté de 1919. «On y conseille au ministère de la Guerre de débarrasser le territoire des munitions abandonnées, notamment les gaz asphyxiants.» Le ministre ordonne de déverser les 35.000 tonnes d’armes sur un banc de sable (le «Paardenmarkt») au large de Knokke-Heist et du port de Zeebrugge. Les transporter sur une longue distance aurait été trop dangereux.

Catastrophe écologique

Depuis, grenades, obus au chlore, au phosphore et autre gaz moutarde recouverts de vase reposent en mer. Un cimetière de munitions de 3 km² qui présente des fuites. «Des scientifiques prédisent une catastrophe écologique sans précédent si l’on n’intervient pas», prévient le média belge de vulgarisation scientifique dailyscience.be. De son côté, le SPF Santé publique déclare aujourd’hui que «des recherches menées en 2022 sur la sédimentation et l’érosion au Paardenmarkt montrent que par rapport à 2013, la situation est restée en moyenne la même sur l’ensemble du site». Le ministre de la mer du Nord a élaboré un plan d’action 2020-2024. Une «stratégie solide à long terme pour les années à venir» doit voir le jour l’année prochaine.

Pas que la grande guerre

Soixante ans après la guerre qui a ravagé son pays, le Vietnam est lui aussi confronté à des problèmes de dépollution. Dans ce cas, le coupable c’est l’agent orange, un puissant défoliant utilisé par les Américains, qui cause encore cécité, diabète, cancers de la prostate et du poumon. Une entreprise belge travaille depuis 2022 à l’assainissement de certaines zones. En France, 62 décharges maritimes d’armes ont été recensées le long de la Manche et des côtes atlantiques. L’armement n’est pas le seul coupable mis en cause. Qu’il s’agisse de «produits chimiques éternels» toxiques enfouis par des entreprises ou de l’épineuse question de l’entreposage souterrain des déchets hautement radioactifs, ils sont nombreux sous nos pieds à vouloir nous empoisonner la vie. 

Cet article est paru dans le Télépro du 5/10/2023

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