Le poison, une stratégie d’État

L’ancien président ukrainien Viktor Iouchtchenko, défiguré à la dioxine © Getty Images

Du parapluie bulgare au cas Navalny, les empoisonnements suspects émaillent l’histoire soviétique… puis russe, à l’occasion de la diffusion du documentaire «Les Poisons de Poutine» ce vendredi à 20h05.

Dans l’empire de Poutine, il ne fait pas bon résister ou s’opposer au maître omnipotent du Kremlin. Le passé du dirigeant russe dans les bureaux du KGB en ex-République démocratique allemande a laissé des traces indélébiles dans son comportement peu enclin à la compassion et encore moins au pardon envers ses adversaires. Vladimir Poutine ne fait qu’emboîter le pas aux mauvaises habitudes de ses prédécesseurs, qu’ils soient tsars ou détenteurs du pouvoir soviétique. C’est sous Lénine qu’est créé un véritable laboratoire chargé de composer des poisons destinés aux opposants, principalement réfugiés à l’étranger. Officiellement, cette institution bolchévique a disparu, mais les quelques cas édifiants qui suivent témoignent d’un système qui a fait du poison une arme stratégique redoutable.

Georgi Markov

Le 7 septembre 1978, à Londres. Le dissident bulgare Georgi Markov est attendu au micro de la BBC. Comme tout Londonien discipliné, il fait la queue dans l’attente du bus qui doit l’amener aux studios. L’homme est un farouche opposant au régime communiste. C’est alors que lui monte dans la cuisse une douleur insoutenable. Derrière lui, un homme s’excuse, ramasse son parapluie et saute aussitôt dans un taxi. Revenu chez lui, Markov est pris de violents vomissements et d’une fièvre intense. Les médecins en ignorent la cause et notre homme meurt quatre jours plus tard. L’enquête conclut à un empoisonnement à la ricine, contenue dans une minuscule capsule placée à l’extrémité du parapluie de son assassin qu’on ne retrouvera jamais.

Viktor Iouchtchenko

Tout le monde se souvient du visage de Viktor Iouchtchenko lors de la campagne électorale à la présidence de l’Ukraine en 2004, alors qu’il est opposé à son rival ouvertement soutenu par les Russes. Le 5 septembre, il partage un repas avec les responsables des services secrets de son pays. Se sentant très mal, il est hospitalisé en Autriche et en revient le visage constellé de cicatrices. Les analyses confirment un empoisonnement à la dioxine. Il affiche une dose dix mille fois supérieure à celle généralement acceptée.

Alexandre Litvinenko

En novembre 2006, l’ancien membre du FSB (ex-KGB) Alexandre Litvinenko prend le thé à Londres avec deux ex-agents du FSB. Il est alors pris de diarrhées et de vomissements à répétition. Litvinenko s’en était ouvertement pris dans les années 1990 à la corruption qui régnait à la tête de l’État russe, dénonçant les liens potentiels des dirigeants avec la mafia. Et ses accusations ne s’étaient pas arrêtées à l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin, en 1999. La veille de sa mort, l’opposant apprend qu’il a été empoisonné avec du polonium 210, une matière particulièrement radioactive. Moscou refuse toujours d’extrader les coupables alors que la Cour européenne des droits de l’homme souligne qu’il y a de fortes présomptions qu’ils aient agi sous ordre de l’État russe.

Alexeï Navalny

Mais la victime la plus célèbre de ces sinistres pratiques est Alexeï Navalny. Le 20 août 2020, il est en pleine campagne électorale en Sibérie. Alors qu’il attend l’avion qui doit le ramener à Moscou, il boit un thé à l’aéroport d’Omsk. En vol, il ressent de terribles nausées au point de devoir être transféré à Berlin pour y recevoir des soins adéquats. On lui diagnostique un empoisonnement au Novichok – qu’on peut traduire par «nouveau venu» -, des agents innervants mis au point dans les dernières années de l’ère soviétique. S’attaquant au système nerveux et aux muscles, ce poison peut conduire à un arrêt cardiaque. Navalny purge actuellement une longue peine de prison dans des conditions effroyables.

Cet article est paru dans le Télépro du 4/5/2023

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