Les «fermes à sang», scandale islandais

En Islande, où une réglementation plus stricte est entrée en vigueur en août dernier, la révélation de cette activité, pourtant pratiquée localement depuis 1979, a déclenché un débat animé dans l’opinion publique © Getty Images
Stéphanie Breuer Journaliste

Dans certains pays, des exploitations prélèvent sur des juments une hormone boostant la fertilité des animaux d’élevage.

Qui dit produits de la ferme dit fruits, légumes, viandes, fromages, lait… Mais parfois, le produit n’est autre que… du sang ! Les défenseurs des animaux tirent la sonnette d’alarme et s’inquiètent du sort réservé aux juments dans des «fermes à sang» installées en Argentine, en Uruguay et, plus près de chez nous, en Islande. Le magazine «Arte Regards» (jeudi, 13.00) se penche sur ces exploitations qui font scandale. Depuis 2015, plusieurs ONG européennes tentent d’alerter l’opinion publique sur cette pratique en diffusant des vidéos sur YouTube. Tournées dans une ferme des environs de Selfoss, en Islande, des images montrent des juments regroupées en file indienne dans une structure en bois et patientant calmement. Chacun leur tour, les animaux, souvent faméliques et blessés, entrent dans des box et se voient introduire une large canule dans la veine jugulaire. En quelques minutes, jusqu’à cinq litres de sang – voire dix litres en Amérique du Sud – sont collectés par jument dans cette opération qui se répète ensuite chaque semaine.

Précieuse hormone

La particularité de ces juments ? Elles sont toutes en gestation ! Et pour cause, cette collecte de sang vise à extraire la gonadotrophine chorionique équine (eCG), une hormone de fertilité sécrétée naturellement dans leur placenta entre le 40 e et 120 e jour de gestation. Transformée en poudre puis commercialisée par l’industrie vétopharmaceutique, l’eCG permet d’améliorer la fertilité chez d’autres animaux élevés en batterie, tels les vaches, les chèvres, les truies…

«Dans ces fermes à sang, les animaux sont inséminés deux fois par an», peut-on lire sur le site de l’ONG Welfarm. «Jusqu’à dix litres de sang leur sont prélevés chaque semaine, pendant 11 à 12 semaines. Ces saignées répétées représentent, à chaque fois, entre 25 et 30 % de leur volume total de sang. Les juments gestantes n’ont pas le temps de renouveler leur stock entre deux opérations. Blessées et mourantes, elles sont abandonnées à leur sort. Les juments sont systématiquement avortées, que ce soit de manière médicamenteuse en Argentine ou directement à la main en Uruguay. L’avortement leur est infligé tardivement, pour que les fermes à sang puissent recueillir autant d’hormone eCG que possible. Nombreuses sont celles qui n’y survivent pas.» En Islande, par contre, les juments ne sont pas avortées, mais, quelques mois après leur naissance, la plupart des poulains sont emmenés… à l’abattoir !

Industrie lucrative

Si des élevages de ce type sont signalés en Russie, en Mongolie et en Chine, officiellement, la technique des saignées, utilisée depuis plus de quarante ans, n’est attestée que dans trois pays au monde : en Argentine, en Uruguay et en Islande, le seul en Europe, où l’on compterait cinq mille juments pour 119 fermes. Obtenue par une pratique jugée «cruelle» par l’Union européenne, l’hormone recherchée est essentiellement destinée aux laboratoires européens, prêts à débourser des fortunes pour cet «or rouge» : 13.000 dollars le gramme ! Les défenseurs des animaux tentent de mettre fin à cette maltraitance animale. Alors que les pays concernés avancent la difficulté de contrôler ces fermes à sang, ces ONG réclament une interdiction européenne d’importer l’eCG. Si le Parlement européen a déjà voté une résolution non contraignante en ce sens en octobre 2021, la balle est désormais dans le camp de la Commission…

Cet article est paru dans le Télépro du 23/3/2023

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