«Un format pour détrôner « The Voice », on n’attend que ça !»

À ce stade, aucun format n'est plus fort que "The Voice" à travers le monde © RTBF
Pierre Bertinchamps Journaliste

Le talentshow de la RTBF fête ses 10 ans, et reste une valeur sure de la RTBF. Décryptage du succès avec Leslie Cable, productrice, à l’occasion de la diffusion ce mardi à 20h35 sur La Une dans «Best of» de cette décennie.

Le pari était risqué pour la RTBF : de retour du MIP TV de Cannes en 2011, la direction de la chaîne publique avait dans ses valises un talentshow d’un nouveau genre : «The Voice». «Nous étions le premier pays à avoir acheté le programme», explique Leslie Cable, productrice. «Nous n’avions pas le recul pour savoir si ça allait marcher, mais nous étions époustouflés par le concept.»

Comment avez-vous vécu les attaques sur le programme que l’on associait à de la téléréalité ?

Nous, en l’achetant, on savait que ce n’était pas du tout ça. La formule de «The Voice» est l’inverse de la téléréalité : c’est l’authentique, la vérité et les voix. On n’a pas de séquence, ni quoi que ce soit d’autre qui s’immisce dans la vie privée, tant des talents que des coaches.

C’est l’authenticité des talents qui est la recette du succès ?

Oui, et du coup, les talents se sentent bien dans le programme. Que ce soit à la RTBF ou dans d’autres pays, on ne les formate pas du tout, on les aide. Il y a le coaching avec les quatre coaches, et en cas de besoin, il y a un coach vocal, en coulisses, qui peut leur apporter une aide supplémentaire. On veut les emmener vers le haut, toujours dans leur sens, mais jamais les candidats ne chanteront quelque chose qu’ils n’aiment pas ou qui n’est pas proche de leur univers. La qualité de l’émission, c’est la qualité des talents, et la qualité des talents vient du fait qu’ils sont poussés vers le haut. Et ça se voit très fort, si on suit leur parcours des «Blinds» aux «Lives».

Pourquoi les gagnants de «The Voice» ne sont pas ceux qui réussissent le mieux ?

Je ne vois pas ça comme ça… Ce n’est pas parce qu’on gagne que l’on réussit. Et c’est valable dans plein de domaines. Vous pouvez avoir énormément de talent et ne pas terminer premier, pour d’autres raisons. Dès qu’il y a du télévoting, comme dans n’importe quel programme du genre, on ne sait pas pourquoi le téléspectateur va choisir le candidat A plutôt que le B. Lors de l’année où la finale a eu lieu entre Laurent Pagna et Loïc Nottet, ça s’est joué à quelques votes près. Laurent était très bien organisé avec un entourage qui l’a beaucoup soutenu au niveau des votes, et quasi rien du clan de Loïc. À ce moment-là, ça n’a plus d’importance. Au-delà d’une émission de télé, si vous avez du talent, notre rôle est de servir de tremplin.

C’est le but de l’émission de créer des «stars» ?

Je suis Anglaise, et le mot ne me dérange pas du tout. Ici, c’est un peu plus péjoratif comme expression. Que «The Voice» existe à la RTBF, c’est par rapport à nos missions de service public. Nous avons plein de talents en Belgique, que ce soit des chanteurs, des chefs en cuisine, etc… alors que nous sommes tout petits. On veut les faire découvrir à notre public, avoir des émotions avec eux, et tant mieux si on lance une carrière et que ça marche. Après, on est aussi un peu là pour les accompagner pour aller plus loin.

De quel parcours êtes-vous la plus fière ?

Loïc Nottet, évidemment. Et je ressens avec Jérémie Makiese (ndlr : vainqueur de la dernière édition) le même genre d’échanges, d’enthousiasme et de volonté qu’avec Loïc. Il a ce petit plus qui crée une émulation qui le pousse à créer et à chanter. Ils sont tous les deux dans une dynamique positive. J’avais retrouvé ça aussi chez Charles.

Ce sont vos bébés ?

On peut le dire comme ça… Quand Loïc vient à Liège, il parle de revenir à la maison, ou quand Charles est venue dans l’émission, l’an dernier, on regardait les répétitions, et elle a posé sa tête sur mon épaule. C’est touchant.

Vous repérez rapidement les talents qui vont réussir ?

Loïc Nottet, dès les Blinds, je pouvais déjà dire qu’il allait devenir une star. J’en étais sure. C’était immédiat. Pour Jérémie, j’ai eu le même sentiment, mais lui, est seulement en train de construire sa carrière. On va voir ce qui se passe. Charles sortait du lot, et je la voyais en finale. Pour Alice Dutoit, son «Blind» était déjà assez fort, et elle s’est révélée dans les Lives quand elle a amené son originalité et des choses très personnelles. Elle savait déjà ce qu’elle voulait et je me souviens qu’elle discutait beaucoup avec les musiciens pour apporter certaines choses à ses prestations. Alice était déjà une artiste. C’était flagrant.

Dix ans, c’est une génération. Est-ce que vous ressentez une évolution entre les premiers candidats de 2011 et ceux d’aujourd’hui ?

Lors de la première saison, les candidats arrivaient sans savoir ce qu’ils faisaient. Le concept n’existait qu’aux Pays-Bas, ils ne savaient pas à quoi s’attendre. Nous leur avons expliqué très vite que nous recherchions la qualité et l’authenticité. On avait le passé de «Pour la gloire», ce qui a amené une certaine confiance.

Les talents belges ont une particularité ?

Depuis le début, ils chantent beaucoup en anglais, même s’ils ne le parlent pas spécialement bien. Si je compare à la France qui va plus dans un répertoire francophone assumé, le Belge préfère les titres anglo-saxons. Par contre, nos talents ont toujours été très modernes par rapport à leur époque, que ce soit dans le choix des chansons, leurs désirs, les contacts avec les coaches,… On demande aussi aux coaches d’être très présents et de vraiment les coacher. Ça fait partie du cahier des charges.

Il n’y a pas une lassitude du format ?

Le jour où ça ne marchera plus, c’est quand lors des castings pour les «Blinds Auditions», il n’y aura plus de talents. À ce stade, rien ne détrône le format «The Voice» au niveau musical. La RTBF a eu la chance de le repérer très vite, alors que la VRT l’a loupé de peu, et c’est VTM qui l’a pris. Un concept qui peut ringardiser «The Voice», on n’attend que ça ! Et ça dure depuis 10 ans…

Si vous n’étiez pas la productrice de l’Eurovision pour la RTBF, est-ce que les liens entre les deux programmes auraient existé ?

L’idée est venue avec Jean-Michel Germys (directeur des divertissements de l’époque), en se disant que c’était logique que le gagnant de «The Voice» soit pris pour l’Eurovision. Ensuite, j’ai amené le fait que ça ne devait pas être d’office le vainqueur, d’autant qu’il y a eu un changement de partenariat avec la maison de disques, et Universal n’était pas preneur de faire l’Eurovision, à l’époque. Depuis, ils ont eu des regrets, et ils y vont (avec Jérémie Makiese, NDLR). Pour moi, ça tombe sous le sens, tant Jean-Michel que moi avions la même idée sur la question. Et heureusement qu’avec Roberto Bellarosa (en 2013), ça a bien marché, c’est ce qui a fait qu’on a renouvelé l’opération par la suite.

Que va apporter la nouvelle règle des «K.O.» cette année ?

Ça va bousculer un peu le format, et même un peu tout le monde. Les coaches se demandent ce qui leur arrive. Black M et Christophe Willem qui ont suivi un peu le programme sur TF1 connaissent déjà un peu les «K.O.», mais BJ Scott et Typh se demandent comment elles vont s’en sortir. Ce n’est pas plus mal… Pour la mécanique, ça va permettre plus d’enjeux d’autant que dans notre version, on conserve le «talent volé». Le téléspectateur sera tenu en haleine jusqu’au bout. On crée une rupture avec les saisons précédentes, et je pense pas mal d’émotions.

Est-on reparti pour 10 ans ?

(Rires) Je ne me pose même pas la question. Ce qui est amusant, c’est que l’équipe de base est la même qu’en 2011, ce qui est assez exceptionnel en télévision.

Propos recueillis par Pierre Bertinchamps

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