Cinéma : 120 ans de sexisme ?

Image extraite de «Brainwashed- Le sexisme au cinéma» © Arte

Les films influenceraient-ils, depuis les débuts du 7e art, le regard et l’opinion des spectateurs à propos de la femme en la présentant souvent comme un objet ? Gros plans stupéfiants.

Ce lundi à 23h35, Arte présente «Brainwashed- Le sexisme au cinéma», docufilm de l’essayiste et cinéaste Nina Menkes. Cette pionnière du féminisme cinématographique a décortiqué près de 200 films de 1896 à 2020 en observant les plans axés sur les femmes dans les productions hollywoodiennes, soit 80 % des
contenus proposés au public.

Regard réducteur

Basé sur l’une de ses conférences universitaires, «Sexe et pouvoir : le langage visuel du cinéma», le brillant documentaire de Nina Menkes démontre le lien entre l’expression cinématographique et le sexisme du monde réel.

«Depuis sa création, le 7e art s’est soumis à des lois inconscientes et inchangées où les femmes sont réduites à des objets, même si elles sont les protagonistes du récit. Et ce, dans tous les registres : suspense, épouvante, comédie, drame», dit-elle. «La façon de filmer démontre à quel point une fiction peut être préjudiciable pour les femmes, car on amène le public à intérioriser un point de vue fréquemment moqueur, réducteur ou salissant.» C’est le fameux «male gaze» (regard masculin).

Afin de l’expliquer au profane, la cinéaste illustre, à l’aide de «simples» plans, la façon dont les hommes ont le plus souvent le rôle de sujet et les femmes celui d’objet. Même lorsqu’un long métrage ne présente aucune violence concrète à l’égard d’un personnage féminin, il suffit de quelques plans pour donner à ce film des accents voyeuristes.

Malaise

D’un côté, un plan montre un ou plusieurs hommes qui regardent et, de l’autre, de gros plans fragmentés se focalisent sur une partie du corps féminin. Ainsi, dans «Enemy» (de Denis Villeneuve), Jake Gyllenhaal observe Mélanie Laurent entrer dans le métro. Ce pourrait être une séquence banale, mais les plans sur la nuque puis les jambes de l’actrice la sexualisent. La caméra fait alors un objet de ce personnage féminin.

La réalisatrice cite un autre exemple : «Dans « Butch Cassidy et le Sundance Kid », le personnage de Robert Redford est sur le point de forcer Katharine Ross sous la menace d’une arme, puis il est révélé qu’ils sont déjà en couple. J’étais adolescente quand j’ai vu ce film, cela m’a déroutée. J’étais censée trouver ça drôle et sexy, mais j’étais profondément mal à l’aise face à l’hostilité latente !»

Et la réalisatrice de s’inquiéter de «ce langage visuel qui nous dicte la manière de regarder un film et qui s’imprime en nous de façon subliminale».

Filmer autrement

Selon plusieurs recherches, ce que nous absorbons dans les médias a un impact très concret sur notre comportement dans la vie. Et si les jeunes s’imprègnent très tôt de ces stéréotypes, ils façonnent leurs objectifs de vie et leur estime de soi en fonction des attentes sociétales qu’ils croient être vraies et surtout normales. «Quand l’industrie cinématographique cessera de centrer ses choix sur des normes sexistes, il y aura une représentation plus précise de chacun qui inspirera le changement social et les jeunes femmes du monde entier», conclut Nina Menkes. «Avec «Brainwashed», je ne souhaite pas donner des leçons, mais éveiller les consciences pour encourager un cinéma filmé autrement.»

Cet article est paru dans le Télépro du 25/4/2024

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